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— C’est étrange, dit le nain réfléchissant.

— Oui, c’est ce que nous nous disions mutuellement, dit froidement M. Swiveller ; mais c’est parfaitement exact. »

Quilp fut complètement ébranlé par cette confidence, sur laquelle il réfléchit quelque temps dans un silence mystérieux. Souvent il levait les yeux sur le visage de Richard, et, d’un regard pénétrant, il en étudiait l’expression. Cependant, comme il n’y lut rien qui lui promît de plus amples détails ou qui pût lui donner des soupçons sur sa véracité ; et comme, d’autre part, M. Swiveller, livré à ses propres méditations, poussait de gros soupirs et s’enfonçait plus avant que jamais dans le triste chapitre du mariage de mistress Cheggs, le nain se hâta de rompre l’entretien et de s’éloigner, laissant à ses mélancoliques pensées le pauvre amant éconduit.

« Ils se sont vus ! se dit le nain tandis qu’il marchait seul le long des rues. Mon ami Swiveller a voulu négocier cette affaire par-dessus ma tête. Peu importe au fond, puisqu’il en a été pour ses frais ; mais c’est égal, l’intention y était. Je suis charmé qu’il ait perdu sa maîtresse. Ah ! ah ! ah ! l’imbécile ne se soustraira plus à ma direction. Je suis sûr de lui dans la maison où je l’ai placé ; je le trouverai toutes les fois que j’aurai besoin de lui pour mes desseins ; et, d’ailleurs, il est, sans le savoir, le meilleur espion de Brass, et quand il a bu, il dit tout ce qu’il sait. Vous m’êtes utile, Dick, et vous ne me coûtez rien que quelques rafraîchissements par-ci par-là. Il serait bien possible, monsieur Richard, qu’il convint à mes fins, pour me mettre en crédit auprès de l’étranger, de lui révéler avant peu vos projets sur l’enfant ; mais pour le moment et avec votre permission, nous resterons les meilleurs amis du monde. »

Tout en poursuivant le cours de ces pensées et se livrant le long de sa route au rêve ardent de ses intérêts particuliers, M. Quilp traversa de nouveau la Tamise et s’enferma dans son palais de garçon. Le poêle, récemment posé en ce lieu et d’où la fumée, au lieu de sortir par le toit, s’était répandue dans la chambre, rendait ce séjour un peu moins agréable peut-être que ne l’eussent désiré des gens plus délicats. Mais un pareil inconvénient, loin de dégoûter le nain de sa nouvelle demeure, ne lui en plaisait que davantage. Ainsi, après un dîner splendide qu’il avait fait venir du restaurant, il alluma sa pipe et fuma près de son poêle jusqu’au moment où il disparut dans un