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excitèrent l’enthousiasme dans l’auditoire. Encouragée par son triomphe, la dame ajouta :

« Si un tel mari pouvait être bourru et déraisonnable avec une telle femme, il faudrait…

— S’il l’est ! interrompit la mère retournant sa tasse vide dans la soucoupe et secouant les miettes qui étaient tombées dans son giron, comme pour se préparer à une déclaration solennelle ; s’il l’est !… C’est le plus grand tyran qui ait jamais existé ; elle n’ose pas penser par elle-même ; il la fait trembler d’un geste, d’un regard, il lui cause des frayeurs mortelles, sans qu’elle ait la force de lui répondre un mot, pas le plus petit mot ! »

Quoique ces griefs fussent bien notoires et bien établis chez toutes ces dames amateurs de thé, et qu’ils eussent depuis un an servi de texte et de commentaire dans toutes leurs réunions du voisinage, cette communication officielle n’eut pas été plutôt reçue, qu’elles se mirent toutes à parler à la fois, rivalisant entre elles de véhémence et de volubilité. Mistress George s’écria que tout le monde s’en entretenait ; que souvent elle en avait entendu causer auparavant ; que mistress Simmons, qui avait vu quelques-unes de ces scènes, le lui avait dit vingt fois à elle-même, et qu’elle lui avait toujours répondu : « Non, ma chère Henriette Simmons, je n’y croirai jamais, à moins que je ne le voie de mes propres yeux et que je ne l’entende de mes propres oreilles. » Mme Simmons corrobora ce témoignage en y ajoutant des détails qui étaient à sa connaissance personnelle. La dame des Minories donna la recette d’un traitement infaillible auquel elle avait soumis son mari, et grâce auquel ce monsieur, qui, trois semaines après son mariage, s’était mis à manifester des symptômes non équivoques d’un naturel de tigre, s’était apprivoisé et était devenu doux comme un agneau. Une autre dame raconta la lutte qu’elle avait eue à soutenir et son triomphe final, qu’elle n’avait pas obtenu cependant sans être forcée d’appeler à son aide sa mère et deux tantes, avec lesquelles elle avait pleuré nuit et jour, durant six semaines, sans discontinuer. Une troisième qui, dans la confusion générale, n’avait pu trouver une autre personne pour l’écouter, s’accrocha à une jeune fille qui se trouvait là, et elle la conjura, au nom de sa tranquillité et de son bonheur, de mettre à profit cette circonstance solennelle pour éviter l’exemple de faiblesse donné par