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pour la mère de cette dame, qui vivait dans le ménage et soutenait contre Daniel une guerre incessante ; et pourtant la dame avait une terrible peur de son gendre. En effet, cet horrible personnage avait réussi de manière ou d’autre, soit par sa laideur, soit par sa férocité, soit enfin par sa malice naturelle, peu importe, à inspirer une crainte salutaire à la plupart de ceux qui se trouvaient chaque jour en rapport avec lui. Nul ne subissait plus complètement sa domination que Mme Quilp elle-même, une jolie petite femme au doux parler, aux yeux bleus, qui, s’étant unie au nain par les liens du mariage dans un de ces moments d’aberration dont les exemples sont loin d’être rares, faisait, tous les jours de la vie bonne et solide pénitence de sa folie d’un jour.

Nous avons dit que Mme Quilp se désolait dans son pavillon en l’absence de son mari. Elle était en effet dans son petit salon, mais elle n’y était pas seule ; car, indépendamment de la vieille Mme Jiniwin, sa mère, dont nous avons déjà parlé tout à l’heure, il y avait là une demi-douzaine au moins de dames du voisinage, qu’un étrange hasard (concerté entre elles, je suppose) avait amenées l’une après l’autre juste à l’heure de prendre le thé. Le moment était propice à la conversation ; la chambre était fraîche et bien ombragée, un véritable lieu de farniente : par la croisée ouverte, on voyait des plantes qui interceptaient la poussière et qui formaient un délicieux rideau entre la table à thé au dedans et la vieille tour de Londres au dehors. Il n’y a donc pas sujet de s’étonner si les dames se sentirent une inclination secrète à causer et à perdre le temps, surtout si nous mettons en ligne de compte les charmes additionnels du beurre frais, du pain tendre, des crevettes et du cresson de fontaine.

Ces dames se trouvant réunies sous de tels auspices, il était naturel que la conversation tombât sur le penchant des hommes à tyranniser le sexe faible, et sur le devoir qui incombe au sexe faible de résister à ce despotisme, et de défendre ses droits et sa dignité. C’était naturel pour quatre raisons : 1° Parce que Mme Quilp étant une jeune femme notoirement en puissance de mari, il convenait de l’exciter à la révolte ; 2° parce que la mère de Mme Quilp était honorablement connue pour être absolue dans ses idées et disposée à résister à l’autorité masculine, 3° parce que chacune des dames en visite n’était pas fâchée de montrer pour son propre compte combien elle l’emportait, à cet