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On ne dira toujours pas que cette opinion fut pour moi le résultat d’une réflexion rapide, car je n’eus pas le temps de réfléchir du tout, la jeune fille étant revenue tout de suite et se disposant à donner à Kit une leçon d’écriture. Il en recevait deux par semaine, dont une régulièrement ce soir-là, et j’ai lieu de croire que le professeur et l’élève y trouvaient un égal plaisir. Il me faudrait plus de temps et d’espace que n’en méritent de tels détails pour dire tous les efforts qu’il fallut faire avant qu’on pût décider le modeste Kit à s’asseoir devant un monsieur qu’il ne connaissait pas ; comment, étant assis enfin, il retroussa ses manches, posa carrément ses coudes, appliqua son nez sur son cahier et fixa ses yeux sur l’exemple en louchant horriblement : comment, dès qu’il eut la plume en main, il se vautra dans les pâtés et se barbouilla d’encre jusqu’à la racine des cheveux ; comment, si par hasard il lui arrivait de bien tracer une lettre, il l’effaçait aussitôt avec son bras en se disposant à en faire une autre ; comment chaque nouvelle bévue était pour l’enfant le sujet d’un franc éclat de rire, auquel répondait, avec plus de bruit encore et non moins de gaieté, le rire du pauvre Kit lui-même ; comment cependant, à travers tout cela, il y avait chez le professeur un désir sincère d’enseigner et chez l’élève un vif désir d’apprendre. Il me suffira de dire que la leçon fut donnée, que la soirée se passa, que la nuit vint, que le vieillard, en proie à son anxiété et à son impatience habituelles, quitta secrètement la maison à la même heure, c’est-à-dire à minuit, et qu’une fois de plus l’enfant resta seule dans cette sombre maison.

Et maintenant que j’ai conduit jusqu’ici cette histoire en y jouant un rôle ; maintenant que j’ai présenté au lecteur les figures avec lesquelles il a déjà fait connaissance, je crois qu’il convient que je disparaisse personnellement de la suite du récit, pour laisser parler et agir eux-mêmes les personnages qui prendront à l’action une part nécessaire et importante.