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à laquelle nous devions de nous connaître, je cédai volontiers à ses instances et m’assis avec l’air d’examiner quelques miniatures curieuses et un petit nombre d’anciennes médailles qu’il plaça devant moi. Il ne fallait pas, d’ailleurs, insister beaucoup pour me déterminer à rester, car il est certain que si ma curiosité avait été éveillée lors de ma première visite, elle n’avait pas diminué dans la seconde.

Nell ne tarda pas à venir nous rejoindre, et, posant sur la table quelque travail de couture, elle s’assit à côté du vieillard. Rien de charmant à voir comme les fleurs fraîches qu’elle avait mises dans la chambre, comme l’oiseau favori dont la petite cage était ombragée par un vert rameau, comme le souffle de fraîcheur et de jeunesse qui semblait frémir à travers cette vieille et triste maison, et voltiger autour de l’enfant ! Il était curieux aussi, quoique moins agréable, de passer de la beauté et de la grâce de l’enfant, à la taille voûtée, au visage soucieux, à la physionomie fatiguée du vieillard. À mesure qu’il allait devenir, plus faible et plus abattu, qu’adviendrait-il de cette petite créature isolée ? Et s’il mourait, le pauvre protecteur, quel serait le sort de la protégée ?

Le vieillard, qui parut répondre exactement à mes pensées, posa sa main sur celle de Nelly et dit tout haut :

« Je ne veux plus être si triste, Nelly, il est impossible qu’il n’y ait pas quelque bonne fortune en réserve pour toi ; je dis pour toi, car pour moi je ne demande rien. Sinon, le malheur s’appesantirait si lourdement sur ta tête innocente !… Mais non, tous mes efforts ne seront pas perdus, c’est impossible. »

Elle le regarda gaiement, mais sans rien répondre.

« Quand je pense, reprit-il, à ces années nombreuses, oui, nombreuses dans ta courte existence, où tu as vécu seule auprès de moi ; à ces jours monotones, sans compagnes ni plaisirs de ton âge ; à cette solitude où tu as grandi, en quelque sorte, loin du genre humain tout entier, et en face d’un vieillard seulement, je crains quelquefois, Nelly, de n’avoir pas agi avec toi comme je le devais.

— Oh ! grand-père !… s’écria l’enfant avec une surprise pleine d’émotion.

— Oui, dit-il, sans le vouloir, sans le vouloir. J’ai toujours aspiré au moment où tu pourrais figurer parmi les dames les plus