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rafraîchissement que miss Brass partageait sans scrupule. Souvent il l’amenait à se charger en sus de sa propre besogne, de celle qu’il eût dû faire, et pour la récompenser, il lui appliquait une bonne tape sur le dos en s’écriant qu’elle était un bon diable, un charmant petit chat, et autres aménités pareilles : compliments que miss Sally prenait très-bien et recevait avec une satisfaction indicible.

Une circonstance, toutefois, troublait à un haut degré l’esprit de M. Swiveller. C’est que la petite servante restait toujours confinée dans les entrailles de la terre, sous Bevis Marks, et n’apparaissait jamais à la surface, à moins que le locataire ne sonnât ; alors elle répondait à l’appel, puis disparaissait de nouveau. Jamais elle ne sortait ni ne venait à l’étude ; jamais elle n’avait la figure débarbouillée ; jamais elle ne quittait son grossier tablier, ni ne se mettait à une fenêtre, ni ne se tenait à la porte de la rue pour respirer une brise d’air ; enfin, elle ne se donnait ni repos ni distraction. Personne ne venait la voir, personne ne parlait d’elle, personne ne songeait à elle. M. Brass avait dit une fois qu’il pensait que c’était « un enfant de l’amour. »

Dans tous les cas, elle ne ressemblait pas à Cupidon, son père. C’était le seul renseignement que Swiveller eût jamais pu attraper sur la jeune captive du sous-sol.

« Il est inutile d’interroger le dragon, pensait un jour Dick, comme il était assis à contempler la physionomie de miss Sally Brass. Je crois bien que si je lui adressais une question à ce sujet, cela romprait notre bonne entente. Je me demande parfois si cette femme est un dragon ou si ce n’est pas plutôt quelque chose comme une sirène. D’abord, elle en a déjà la peau d’écailles. D’un autre côté, les sirènes aiment à se regarder dans le miroir, ce que Sally ne fait jamais ; elles ont l’habitude de se peigner les cheveux, et jamais Sally ne touche à un peigne. Non, décidément, c’est un dragon.

— Où allez-vous, mon vieux camarade ? dit tout haut Richard, au moment où miss Sally, suivant son usage, essuyait sa plume à sa robe verte et quittait son siège.

— Je vais dîner, répondit le dragon.

— Dîner ! … pensa M. Swiveller ; ceci est une autre affaire. Je serais curieux de savoir si la petite servante a jamais rien à manger.