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les étrangers mâles assez heureux pour l’approcher. Ses traits étaient exactement ceux de son frère Sampson : ressemblance si complète, que, si sa pudeur virginale et le décorum de son sexe avaient permis à miss Brass de mettre par badinage les habits de son frère, et d’aller, vêtue de la sorte, s’asseoir à côté de lui, il eût été difficile, même au plus vieil ami de la famille, de décider lequel des deux était Sampson ou Sally ; d’autant plus que la demoiselle portait au-dessus de la lèvre supérieure certaines rousseurs qui, jointes à l’illusion produite par le costume masculin, auraient pu être prises pour une moustache couleur carotte. Selon toute probabilité, ce n’était pas autre chose que les cils qui s’étaient trompés de place, les yeux de miss Brass étant complètement dépourvus de pareilles futilités. Sous le rapport du teint, miss Brass était blême, d’un blanc sale ; mais cette blancheur était agréablement relevée par l’éclat florissant qui couvrait l’extrême bout de son nez moqueur. Sa voix était d’un timbre sonore et d’un riche volume ; quiconque l’avait entendue une fois ne pouvait plus l’oublier. Son costume habituel consistait en une robe verte, d’une nuance à peu près semblable à celle du rideau de l’étude, serrée à la taille et se terminant au cou, derrière lequel elle était attachée par un bouton large et massif. Trouvant sans doute que la simplicité et le naturel sont l’âme de l’élégance, miss Brass ne portait ni collerette ni fichu, excepté sur sa tête, invariablement ornée d’une écharpe de gaze brune, semblable à l’aile du vampire fabuleux, et qui, prenant toutes les formes qu’il lui plaisait, formait une coiffure commode et gracieuse.

Telle était miss Brass sous le rapport du physique. Au moral, elle avait un tour d’esprit solide et vigoureux. Depuis sa plus tendre jeunesse, elle s’était consacrée avec une ardeur peu commune à l’étude des lois ; n’étendant pas ses spéculations sur leur vol d’aigle, assez rare du reste, mais les suivant d’un œil attentif à travers le dédale d’astuce et les zigzags d’anguille qu’elles affectionnent d’ordinaire. Elle ne s’était pas bornée, comme bien des personnes d’une grande intelligence, à la simple théorie, pour s’arrêter juste où l’utilité pratique commence : bien au contraire, elle savait grossoyer, faire de belles copies, remplir avec soin les vides des pièces imprimées, s’acquitter enfin de toutes les fonctions d’une étude, y compris l’art de gratter une feuille de parchemin et de tailler une plume. Il est difficile de