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flathers qui avait l’audace de la menacer de cette peine dégradante, qui ferait honte à l’imagination la plus perverse ! »

« En vérité, s’écria mistress Jarley dans l’explosion de sa colère et ne se dissimulant pas l’insuffisance de ses moyens de vengeance, quand je pense à cela, il y a de quoi se faire athée ! … »

Mais au lieu d’adopter cette vengeance extrême, Mme Jarley, après réflexion, tira la bouteille suspecte ; elle fit poser des verres sur son tambour favori, s’assit sur une chaise derrière le tambour, appela ses gens autour d’elle, et leur raconta plusieurs fois mot à mot l’affront qu’elle avait reçu. Après quoi, elle leur ordonna, d’une sorte d’accent désespéré, de boire ; tantôt elle riait, tantôt elle pleurait, tantôt elle prenait elle-même une petite goutte, puis elle riait et pleurait à la fois, et reprenait deux gouttes : par degrés la digne femme en arriva à rire davantage et à pleurer moins, jusqu’à ce qu’enfin elle ne put assez rire aux dépens de miss Monflathers qui, d’odieuse qu’elle était, ne lui parut plus tout bonnement qu’un modèle achevé d’absurdité et de ridicule.

« Car enfin qu’est-ce qui a le dernier de nous deux, après tout ? demanda Mme Jarley. Tout cela c’est du bavardage ; elle dit qu’elle me fera donner les étrivières : qu’est-ce qui m’empêche de la menacer aussi des étrivières ? ce serait encore bien plus drôle. Allons, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. »

Étant arrivée à cette heureuse disposition d’esprit, grâce surtout à certaines interjections jetées çà et là par M. Georges en guise de consolation, Mme Jarley n’épargna pas à Nelly des paroles de réconfort, et lui demanda comme une faveur personnelle de ne plus penser à miss Monflathers que pour en rire toute sa vie vivante.

C’est ainsi que se termina, chez Mme Jarley, cet accès de colère qui s’apaisa longtemps avant le coucher du soleil. Cependant les tourments de Nelly étaient d’une nature plus grave, et les assauts qu’ils livraient à sa tranquillité ne pouvaient pas être aussi facilement réprimés.

Le soir même, comme elle le redoutait, son grand-père se glissa dehors ; il ne revint qu’au milieu de la nuit. Accablée par ces pensées, fatiguée de corps et d’esprit, elle était seule, assise dans un coin, et veillait en comptant les minutes jusqu’au moment où il arriva sans un sou, harassé, attristé, mais toujours sous l’empire de sa passion dominante.