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abaissant son ombrelle pour regarder en plein la coupable, que vous portiez aux gens des classes inférieures un sentiment d’affection qui vous fait toujours prendre leur parti ? ou plutôt, n’est-il pas bien extraordinaire que j’aie beau dire et beau faire, et que je ne puisse vous corriger des penchants qui vous viennent malheureusement de votre position fausse dans la vie ? En vérité, il faut que vous soyez la petite fille la plus commune et la plus vulgaire !

— Mais, madame, je ne croyais pas faire mal, répondit une voix douce. Je n’ai fait que céder à l’impulsion du moment.

— Une impulsion ! répéta dédaigneusement miss Monflathers. J’admire que vous osiez me parler d’impulsion, à moi ! »

Les deux sous-maîtresses approuvèrent d’un signe de tête.

« J’en suis fort étonnée ! … »

Les deux sous-maîtresses montrèrent le même étonnement.

« C’est une impulsion, je suppose, qui vous fait embrasser la cause de tout être vil et rampant que vous rencontrez sur votre chemin ? »

Les deux sous-maîtresses avaient déjà fait in petto la même supposition.

« Mais il est bon que vous sachiez, miss Edwards, reprit la maîtresse de pension avec une sévérité croissante, qu’il ne saurait vous être permis, ne fût-ce qu’au point de vue du bon exemple et du décorum de mon établissement ; qu’il ne saurait vous être permis, qu’il ne vous sera point permis de manquer à vos supérieurs d’une manière aussi grossière. Si vous n’avez pas de raison pour éprouver une juste fierté avec des enfants qui montrent les figures de cire, voici des jeunes personnes qui en ont ; ou vous témoignerez de la déférence à ces jeunes personnes, ou vous quitterez ma maison, miss Edwards ! … »

Cette jeune fille, orpheline et pauvre, avait été élevée dans la pension, instruite pour rien et enseignant aux autres pour rien ce qu’elle avait appris ; nourrie pour rien, logée pour rien, elle était regardée comme infiniment moins que rien par tous les habitants de la maison. Les servantes sentaient son infériorité, car elles étaient bien mieux traitées qu’elle ; au moins elles avaient la liberté d’aller et de venir, et chacune dans leur service obtenait bien plus d’égards. Les sous-maîtresses avaient sur miss Edwards une évidente supériorité, car dans leur temps elles avaient payé peut-être en pension, et maintenant elles