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Puis, remarquant que son associé était encore endormi, il ajouta vivement et à voix basse :

« C’est Codlin qui est votre ami, et non pas Short, souvenez-vous-en.

— Je fais quelques bouquets, répondit l’enfant ; j’essayerai de les vendre pendant les trois jours de courses. En voulez-vous un ? Bien entendu que c’est un petit cadeau que je vous offre. »

M. Codlin se disposait à se lever pour recevoir le bouquet, mais Nelly s’élança vers lui et le lui mit dans la main. Il le plaça à sa boutonnière avec un air de satisfaction remarquable pour un misanthrope, et, lançant un coup d’œil de défi et de triomphe à Short qui ne s’en doutait guère, il dit en s’étendant de nouveau :

« C’est Tom Codlin qui est votre ami, goddam ! »

Dès que la matinée fut un peu avancée, les tentes prirent un aspect plus gai et plus brillant ; de longues files d’équipages roulèrent doucement sur le gazon. Des hommes qui avaient passé toute la nuit en blouse, avec des guêtres de cuir, se montrèrent en vestes de soie avec des chapeaux à plumes, dans leur rôle de jongleurs ou de saltimbanques ; ou en livrée superbe, comme les domestiques doucereux attachés aux maisons de jeu ; ou enfin, avec d’honnêtes costumes de bons fermiers, pour amorcer le public et l’entraîner aux jeux illicites. De jeunes bohémiennes aux yeux noirs, coiffées de mouchoirs aux couleurs écarlate, se répandaient partout pour dire la bonne aventure, et de pauvres femmes maigres et pâles erraient sur les pas des ventriloques et des sorciers leurs compères, comptant d’un regard avide les pièces de dix sous avant même qu’elles fussent gagnées. Il y avait entre les ânes, les chariots et les chevaux, autant d’enfants entassés que l’étroit espace pouvait en contenir, et ils étaient tous sales et pauvres ; quant à ceux qu’on n’avait pu y laisser, ils couraient à droite et à gauche dans les endroits où il y avait le plus de monde, se faufilaient entre les jambes des promeneurs, entre les roues des voitures, et jusque sous les pieds des chevaux, sans qu’il leur arrivât le moindre accident. Les chiens dansants, les faiseurs de tours montés sur des échelles, la naine et le géant, et toutes les autres merveilles flanquées d’orgues et d’orchestres sans nombre, sortaient des trous et des recoins où ils avaient passé la nuit, et florissaient en plein soleil.