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laquelle le voyageur pouvait, en se retournant, contempler, à travers la fumée, le mirage du vieux Saint-Paul, et voir la croix se découper sur les nuages, si par hasard le jour était pur, et briller au soleil ; c’était là que le voyageur, fixant ses yeux sur cette Babel d’où s’élevait le dôme majestueux, jusqu’à ce que son regard eût embrassé l’extrémité de cet amas de briques et de pierres, maintenant à ses pieds, sentait enfin qu’il était délivré de Londres.

Ce fut en un lieu de ce genre, dans une agréable prairie, que s’arrêtèrent le vieillard et son jeune guide, si l’on peut donner le nom de guide à celle qui ignorait où ils allaient. Nelly avait pris la précaution de garnir son panier de quelques tranches de pain et de viande, et ils firent en cet endroit leur frugal déjeuner.

La fraîcheur du matin, le gazouillement des oiseaux, la beauté de l’herbe ondoyante, l’épaisseur des ombrages, les couleurs des fleurs sauvages et les mille parfums, les mille bruits harmonieux qui remplissaient l’air, produisirent sur nos pèlerins une impression profonde et les rendirent heureux. Ah ! ce sont de grandes joies pour la plupart d’entre nous, mais surtout pour ceux dont l’existence s’use au sein de la foule ou bien qui passent leur vie isolés, au fond des capitales, comme un seau dans un puits humain. Déjà, avant le départ, l’enfant avait dit ses naïves prières avec plus de ferveur que jamais ; mais en présence de cet ensemble vivifiant, ses prières s’échappèrent une seconde fois de ses lèvres. Le vieillard ôta son chapeau les paroles consacrées étaient sorties de sa mémoire, mais il dit Amen, et tous deux se sentirent contents.

Chez eux, il y avait autrefois une planche, un vieil exemplaire de la Marche des pèlerins avec de bizarres dessins. Souvent Nelly était restée des soirées entières à y tenir ses regards attachés, se demandant si tout cela était bien exact, et où pouvaient se trouver ces contrées lointaines avec leurs noms curieux. En se tournant vers le chemin qu’elle venait de suivre, une partie de ce souvenir revint frapper son esprit.

« Mon cher grand-papa, dit-elle, sauf que le lieu où nous sommes est plus agréable et bien autrement bon que celui du livre, s’il présente quelque analogie avec notre voyage je trouve que nous sommes comme les deux chrétiens ; nous avons laissé sur ce gazon, pour ne plus les reprendre jamais, les soucis et les peines que nous avions apportés avec nous.