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hommes, bien au-dessus de Christophe Nubbles par la naissance et l’éducation, transformer leurs goûts en obligations rigoureuses, dans des questions moins innocentes, et se faire un grand mérite de l’abnégation avec laquelle ils se sont satisfaits. Cette fois, Kit n’avait aucune précaution à prendre ; il n’avait, pas non plus à craindre d’être arrêté par un nouveau combat contre le commis de Daniel Quilp. La maison était complètement déserte, la poussière et l’ombre semblaient l’avoir envahie comme si elle était restée inhabitée depuis plusieurs mois. Un gros cadenas fermait la porte ; des lambeaux d’étoffes fanées et de rideaux pendaient tristement aux fenêtres supérieures à demi fermées, et les ouvertures pratiquées dans les volets des fenêtres d’en bas ne laissaient voir que les ténèbres qui régnaient à l’intérieur. Quelques-uns des carreaux de la croisée, près de laquelle Kit avait si souvent fait le guet, avaient été brisés dans le déménagement précipité de la matinée, et cette chambre où Nelly venait rêver autrefois paraissait plus qu’aucune autre abandonnée et mélancolique. Une troupe de polissons avait pris possession des marches de la porte : les uns jouaient avec le marteau et écoutaient avec un plaisir mêlé d’effroi le bruit sourd qu’il produisait dans la maison dévastée ; les autres, groupés autour du trou de la serrure, guettaient, moitié en riant et moitié sérieusement le revenant que déjà l’imagination évoquait du sein de cette obscurité récente, grâce au mystère qui avait couvert les derniers habitants de la maison. Cette maison, la seule qui fût fermée et sans vie au milieu de l’agitation et du bruit de la rue, offrait un tableau de désolation ; et Kit, se rappelant l’excellent feu qui, jadis, y brillait en hiver, et le rire franc qui alors faisait retentir la petite chambre, s’éloigna à la hâte, rempli de chagrin.

Rendons au pauvre Kit la justice de déclarer que son esprit n’avait nullement le tour sentimental, et qu’il n’avait peut-être pas de toute sa vie entendu prononcer cet adjectif. C’était seulement un bon garçon reconnaissant, qui n’avait ni grâces ni belles manières ; par conséquent, au lieu de retourner chez lui dans son chagrin pour battre les enfants et dire des injures à sa mère, comme le feraient nos gens bien éduqués qui, lorsqu’ils sont mécontents, voudraient voir aussi tout le monde malheureux, Kit se contenta de penser à donner le plus possible de bien-être à sa famille.