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ce que je voulais dire, papa, reprit Bella ; le fait est que je voulais vous parler d’Émilie. »

M. Pickwick tressaillit.

« Qu’est-ce qu’il y a maintenant ? lui demanda M. Wardle en s’arrêtant dans sa narration.

— Rien, répondit le philosophe ; continuez, je vous en prie.

— Ma foi ! Je n’ai jamais su filer une histoire, reprit le vieux gentleman brusquement. Il faut que cela vienne tôt ou tard, et ça nous épargnera beaucoup de temps, si ça vient tout de suite. Le fait est qu’à la fin Bella se décida à me dire qu’Émilie était fort malheureuse ; que depuis les dernières fêtes de Noël elle avait été en correspondance constante avec notre jeune ami Snodgrass ; qu’elle s’était fort sagement décidée à s’enfuir avec lui, pour imiter la louable conduite de son amie ; mais qu’ayant senti quelques retours de componction, à ce sujet, attendu que j’avais toujours été passablement bien disposé pour tous les deux, elle avait pensé qu’il valait mieux commencer par me faire l’honneur de me demander si je m’opposerais à ce qu’ils fussent mariés de la manière ordinaire et vulgaire. Voilà la chose ; et maintenant, Pickwick, si vous voulez bien réduire vos yeux à leur grandeur habituelle, et me conseiller, je vous serai fort obligé. »

Cette dernière phrase, proférée d’une manière bourrue par l’honnête vieillard, n’était pas tout à fait sans motifs, car les traits de M. Pickwick avaient pris une expression de surprise et de perplexité tout à fait curieuse à voir.

« Snodgrass !… Depuis Noël… » murmura-t-il enfin, tout confondu.

— Depuis Noël, répliqua Wardle. Cela est clair, et il faut que nous ayons eu de bien mauvaises bésicles, pour ne pas le découvrir plus tôt.

— Je n’y comprends rien, reprit M. Pickwick en ruminant. Je n’y comprends rien.

— C’est pourtant assez facile à comprendre, rétorqua le colérique vieillard. Si vous aviez été plus jeune, vous auriez été dans le secret depuis longtemps. Et de plus, ajouta-t-il après un peu d’hésitation, je dois dire que ne sachant rien de cela, j’avais un peu pressé Émilie, depuis quatre ou cinq mois, afin qu’elle reçût favorablement un jeune gentleman du voisinage ; si elle le pouvait, toutefois, car je n’ai jamais voulu forcer son inclination. Je suis bien convaincu qu’en véritable jeune fille, pour rehausser sa valeur et pour augmenter l’ar-