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— Comment cela, demanda celui-ci avec anxiété. En quelle manière ?

— Réellement, vous êtes un jeune gaillard si emporté, que j’ai presque peur de vous le dire. Néanmoins, si Perker veut s’asseoir entre nous, pour prévenir un malheur, je m’y hasarderai. »

Ayant fermé la porte de la chambre, et s’étant fortifié par une autre descente dans la tabatière de Perker, le vieux gentleman commença sa grande révélation en ces termes :

« Le fait est que ma fille Bella… Bella qui a épousé le jeune Trundle, vous savez ?

— Oui, oui, nous savons, dit M. Pickwick avec impatience.

— Ne m’intimidez pas dès le commencement. Ma fille Bella, l’autre soir, s’assit à côté de moi lorsque Émilie fut allée se coucher, avec un mal de tête, après m’avoir lu la lettre d’Arabelle ; et commença à me parler de ce mariage. « Eh bien ! papa, dit-elle, qu’est-ce que vous en pensez. — Ma foi, ma chère, répondis-je, j’aime à croire que tout ira bien. » Il faut vous dire que j’étais assis devant un bon feu, buvant mon grog paisiblement, et que je comptais bien, en jetant de temps en temps un mot indécis, l’engager à continuer son charmant petit babil. Mes deux filles sont tout le portrait de leur pauvre chère mère et plus je deviens vieux, plus j’ai de plaisir à rester assis en tête à tête avec elles. Dans ces moments-là, leur voix, leur physionomie, me reportent au temps le plus agréable de ma vie, me rendent encore aussi jeune que je l’étais alors, quoique pas tout à fait aussi heureux. « C’est un véritable mariage d’inclination, dit Bella après un moment de silence. — Oui, ma chère, répondis-je ; mais ce ne sont pas toujours ceux qui réussissent le mieux… »

— Je soutiens le contraire ! interrompit M. Pickwick avec chaleur.

— Très-bien ; soutenez ce que vous voudrez, quand ce sera votre tour à parler, mais ne m’interrompez pas.

— Je vous demande pardon.

— Accordé. « Papa, dit Bella en rougissant un peu, je suis fâchée de vous entendre parler contre les mariages d’inclination. — J’ai eu tort, ma chère, répondis-je en tapant ses joues aussi doucement que peut le faire un vieux gaillard comme moi. J’ai eu tort de parler ainsi, car votre mère a fait un mariage d’inclination, et vous aussi. — Ce n’est pas là