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épouse, elle était allée visiter différents établissements fashionables d’eaux thermales, afin de recouvrer sa bonne humeur, et sa santé accoutumée. C’était là une manière délicate de voiler le fait, que Mme  Pott, exécutant sa menace de séparation souvent répétée, et en vertu d’un arrangement arraché à M. Pott par son frère le lieutenant, s’était retirée pour vivre, avec son fidèle garde du corps, de la moitié des profits annuels provenant de la vente de la gazette d’Eatanswill.

Tandis que l’illustre journaliste, quels que fussent les différents sujets qu’il traitât, embellissait la conversation par des passages extraits de ses propres élucubrations, un majestueux étranger, mettant la tête à la portière d’une diligence qui se rendait à Birmingham, et qui s’était arrêtée devant l’auberge pour y laisser quelques paquets, demanda s’il pouvait trouver dans l’hôtel un bon lit.

« Certainement, monsieur, répliqua l’hôte.

— En êtes-vous sûr ? puis-je y compter ? reprit l’étranger, dont les regards et les manières avaient quelque chose de soupçonneux.

— Sans aucun doute, monsieur.

— Bien. Cocher, je reste ici. Conducteur, mon sac de nuit. »

Puis ayant dit bonsoir aux autres passagers, d’un air d’assez mauvaise humeur, l’étranger descendit. C’était un petit gentleman, dont les cheveux noirs et roides étaient taillés en hérisson, ou si l’on aime mieux en brosse, et se tenaient tout droits sur sa tête. Son aspect était pompeux et menaçant ; ses manières péremptoires, ses yeux perçants et inquiets ; toute sa tournure, enfin, annonçait le sentiment d’une grande confiance en soi-même, et la conscience d’une incommensurable supériorité sur tout le reste du monde.

Ce gentleman fut introduit dans la chambre, originairement assignée au patriote M. Pott, et le garçon remarqua, avec un muet étonnement, que la chandelle était à peine allumée quand l’étranger, plongeant la main dans son chapeau, en tira un journal, et commença à le lire avec la même expression d’indignation et de mépris, qui avait jailli une heure auparavant du regard majestueux de M. Pott. Il se rappela aussi que l’indignation de M. Pott avait été allumée par un journal nommé l’Indépendant d’Eatanswill, tandis que le profond mépris du nouveau gentleman était excité par une feuille intitulée : La gazette d’Eatanswill.

« Envoyez-moi le maître de l’hôtel, dit l’étranger.