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Après un court silence, Sam jeta un coup d’œil au postillon, et baissant la voix de manière à ne produire qu’un chuchotement mystérieux : « Avez-vous jamais été appelé, quand vous étiez apprenti carabin, pour visiter un postillon ?…

— Non, je ne le crois pas.

— Vous n’avez jamais vu un postillon dans un hôpital n’est-ce pas ?

— Non, je ne pense pas en avoir vu.

— Vous n’avez jamais connu un cimetière où y avait un postillon d’enterré ? vous n’avez jamais vu un postillon mort, n’est-ce pas ? demanda Sam, en poursuivant son catéchisme.

— Non, répliqua Bob.

— Ah ! reprit Sam d’un air triomphant, et vous n’en verrez jamais, et il y a une autre chose qu’on ne verra jamais, c’est un âne mort. Personne n’a jamais vu un âne mort, excepté le gentleman[1] en culotte de soie noire, qui connaissait la jeune femme qui gardait une chèvre, et encore c’était un âne français ; ainsi il n’était pas de pur sang, après tout.

— Eh bien ! quel rapport tout cela a-t-il avec le postillon ? demanda Bob.

— Voilà. Je ne veux pas assurer, comme quelques personnes très-sensées, que les postillons et les ânes sont un être immortel, tous les deux ; mais voilà ce que je dis : C’est que, quand ils se sentent trop roides pour travailler, ils s’en vont, l’un portant l’autre : un postillon pour deux ânes, c’est la règle. Ce qu’ils deviennent ensuite, personne n’en sait rien ; mais il est très-probable qu’ils vont pour s’amuser dans un monde meilleur, car il n’y a pas un homme vivant qui ait jamais vu un postillon ni un âne s’amuser dans ce monde ici. »

Développant compendieusement cette remarquable théorie, et citant à l’appui divers faits statistiques, Sam Weller égaya le trajet jusqu’à Dunchurch. Là on obtint un postillon sec et des chevaux frais. Daventry était le relais suivant, Towcester celui d’après, et à la fin de chaque relais, il pleuvait plus fort qu’au commencement.

« Savez-vous, dit Bob d’un ton de remontrance en mettant le nez à la portière de la chaise, lorsqu’elle arrêta devant la tête du sarrasin, à Towcester, savez-vous que ça ne peut pas aller comme ça ?

  1. Yorick. Voy. le voyage sentimental de Sterne. (Note du traducteur.)