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vigueur, il arracha l’épée de son adversaire et la jeta bravement par la portière.

— Sang et tonnerre ! » cria sur nouveaux frais le jeune gentilhomme en mettant encore la main sur le pommeau de son épée, mais sans la tirer. Peut-être, comme le disait mon oncle avec un sourire, peut-être avait-il peur d’effrayer la jeune dame.

« Maintenant, gentlemen, dit mon oncle en prenant tranquillement sa place, il est inutile de parler de mort avec ou sans enfer, devant une dame, et nous avons eu assez de sang et de tonnerre pour notre voyage. Ainsi, s’il vous plaît, nous nous assiérons pacifiquement à nos places comme de paisibles voyageurs. Ici, conducteur ! ramassez le couteau à découper de ce gentleman. »

« Mon oncle n’avait pas achevé ces mots, lorsque le conducteur parut à la portière avec l’épée. En la passant dans l’intérieur, il leva sa lanterne et regarda fixement mon oncle, qui, à sa grande surprise, aperçut autour de la voiture une fourmilière de conducteurs ayant tous les yeux rivés sur lui. Jamais, dans toute sa vie, il n’avait vu un si grand nombre de visages pâles, d’habits rouges et de regards fixes.

« Voilà la chose la plus étrange qui me soit arrivée jusqu’à ce jour, pensa mon oncle. Permettez-moi de vous rendre votre chapeau, monsieur. »

L’individu de mauvaise mine reçut en silence le chapeau à trois cornes, regarda attentivement le trou qui se trouvait au milieu, et, finalement, le plaça sur le sommet de sa perruque, avec une solennité dont l’effet fut cependant légèrement diminué par un violent éternuement qui fit retomber son tricorne sur ses genoux.

« En route ! » cria le conducteur armé de la lanterne, en montant par derrière sur son petit siége. La voiture partit. Mon oncle, en sortant de la cour, regarda à travers les glaces, et vit que les autres malles, avec les cochers, les gardes, les chevaux et les voyageurs, tournaient en rond, au petit trot, avec une vitesse d’environ cinq milles à l’heure. Mon oncle bouillait d’indignation, gentlemen. Comme négociant il trouvait qu’on ne devait pas badiner avec les dépêches, et il résolut d’en écrire à la direction des postes aussitôt après son retour à Londres.

Bientôt cependant toutes ses pensées se concentrèrent sur la jeune dame, qui était assise à l’autre coin de l’intérieur, le visage soigneusement enveloppé dans son capuchon. Le gentilhomme à l’habit bleu se trouvait en face d’elle, et