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cordialement, quand il s’aperçut que ces civilités n’étaient pas pour lui, mais pour une jeune lady, qui parut en ce moment au bas du marchepied. Elle avait une robe de velours vert, d’une coupe antique, avec une longue taille et un corsage lacé. Elle était coiffée en cheveux, et portait sur la tête un capuchon de soie noire. Elle se retourna un instant, et découvrit à mon oncle le plus beau visage qu’il eût jamais vu, même en peinture. Quand elle monta dans la voiture, elle releva sa robe d’une main, et, comme le disait mon oncle, avec un juron, chaque fois qu’il racontait cette histoire, il n’aurait jamais cru que des pieds et des jambes pussent atteindre cette perfection, s’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux.

Cependant mon oncle s’était aperçu que la jeune dame paraissait épouvantée, et qu’elle avait jeté vers lui un regard suppliant. Il remarqua aussi que le jeune homme à la perruque poudrée, malgré toutes ses apparences de respect et de galanterie, lui avait étroitement serré le poignet, pour la faire monter, et l’avait suivie immédiatement. Un autre individu, de fort mauvaise mine, était avec eux. Il avait une petite perruque brune, un habit raisin de Corinthe, une énorme rapière à large coquille, et des bottes qui lui montaient jusqu’aux hanches. Quand il s’assit auprès de la charmante lady, elle se renfonça d’un air craintif, dans son coin, et mon oncle fut confirmé dans son idée première, qu’il allait se passer quelque drame sombre et mystérieux ; ou, comme il le disait lui-même, qu’il y avait quelque chose qui clochait. En un clin d’œil, il se décida à secourir la jeune dame, si elle avait besoin d’assistance.

« Sang et tonnerre ! » s’écria le jeune gentilhomme en mettant la main sur son épée lorsque mon oncle entra dans la voiture.

— « Mort et enfer ! » vociféra l’autre individu en tirant sa rapière et en se fendant sur mon oncle, sans plus de cérémonies.

Mon oncle n’avait pas d’armes ; mais, avec une grande dextérité, il enleva le chapeau à trois cornes de son adversaire, et recevant la pointe de l’épée juste au milieu de la forme, serra les deux côtés et empoigna solidement la lame.

— Piquez-le par derrière, s’écria l’homme de mauvaise mine à son compagnon, tout en s’efforçant de rattraper son épée.

— Qu’il ne s’en avise pas, s’écria mon oncle en relevant d’une manière menaçante le talon d’un de ses souliers ferrés, je lui ferais sauter la cervelle, s’il en a, ou s’il n’en a pas je lui briserais le crâne ! Employant en même temps toute sa