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— Ah ! sans aucun doute, ajouta Perker gravement. Il faut que vous vous chargiez de cette affaire-là, mon cher monsieur. Ces jeunes gens vous respecteront, mais ils n’écouteraient nulle autre personne. Vous seul pouvez prévenir un malheur. Des têtes chaudes ! des têtes chaudes ! » Et le petit homme prit une prise de tabac menaçante, en faisant une grimace pleine de doute et d’anxiété.

« Mais, mon ange, dit M. Pickwick d’une voix douce, vous oubliez que je suis prisonnier ?

— Oh ! non, en vérité, je ne l’oublie pas ! je ne l’ai jamais oublié ; je n’ai jamais cessé de penser combien vos souffrances devaient être grandes, en cet horrible séjour. Mais j’espérais que vous consentiriez à faire, pour notre bonheur, ce que vous ne vouliez pas faire pour vous-même. Si mon frère apprend cette nouvelle de votre bouche, je suis sûre que nous serons réconciliés. C’est le seul parent que j’aie au monde, monsieur Pickwick, et si vous ne plaidez pas ma cause, je crains bien de perdre même ce dernier parent. J’ai eu tort, très-grand tort, je le sais… » Ici la pauvre Arabelle cacha son visage dans son mouchoir, et se prit à pleurer amèrement.

Le bon naturel de M. Pickwick avait bien de la peine à résister à ces larmes ; mais quand Mme Winkle, séchant ses yeux, se mit à le câliner, à le supplier, avec les accents les plus doux de sa douce voix, il devint tout à fait indécis et mal à son aise, comme il le laissait voir suffisamment en frottant avec un mouvement nerveux les verres de ses lunettes, son nez, ses guêtres, sa tête et sa culotte.

Prenant avantage de ces symptômes d’indécision, M. Perker, chez qui le jeune couple était débarqué dans la matinée, rappela, avec l’habileté d’un homme d’affaires, que M. Winkle senior n’avait pas encore appris l’importante démarche que son fils avait faite ; que le bien-être futur dudit fils dépendait entièrement de l’affection que continuerait à lui porter ledit M. Winkle senior ; et que cette affection serait fort probablement endommagée si on lui cachait davantage ce grand événement ; que M. Pickwick, en se rendant à Bristol pour voir M. Allen, pourrait également aller à Birmingham pour voir M. Winkle senior ; enfin que M. Winkle senior pouvant à juste titre regarder M. Pickwick comme le mentor et pour ainsi dire le tuteur de son fils, M. Pickwick se devait à lui-même de l’informer personnellement de toutes les circonstances de l’affaire, et de la part qu’il y avait prise.