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gnalement. Elle fit courir le bruit que son mari s’était sauvé, et elle continua son commerce. Un samedi soir, un vieux petit gentleman, très-maigre, vient dans la boutique, en grande colère. « Êtes-vous la maîtresse de cette boutique ici ? dit-il. — Oui, qu’elle dit. — Eh bien ! madame, je suis venu pour vous avertir que ma famille et moi nous ne voulons pas être étranglés à cause de vous. Et plus que ça ; permettez-moi de vous observer, madame, que, comme vous ne mettez pas de la viande de premier choix dans vos saucisses, vous pourriez bien trouver du bœuf aussi bon marché que des boutons. — Des boutons ? monsieur, dit-elle. — Des boutons, madame, dit l’autre en déployant un morceau de papier et lui montrant vingt ou trente moitiés de boutons. Voilà un joli assaisonnement pour des saucisses, madame ; des boutons de culotte. — Saperlote ! s’écrie la veuve en se trouvant mal, c’est les boutons de mon mari ! » Là-dessus, voilà le vieux petit gentleman qui devient blanc comme du saindoux. « Je vois ce que c’est, dit la veuve ; dans un moment d’impatience, il s’est bêtement converti en saucisses ! » Et c’était vrai, monsieur, poursuivit Sam en regardant en face le visage plein d’horreur de M. Pickwick, c’était vrai. Ou bien, peut-être qu’il avait été pris dans la machine. Mais, en tout cas, le petit vieux gentleman, qui avait toujours adoré les saucisses, se sauva de la boutique comme un fou, et on n’en a jamais plus entendu parler depuis ! »

La relation de cette touchante tragédie domestique amena le maître et le valet au cabinet de M. Perker. M. Lowten, tenant la porte à moitié ouverte, était en conversation avec un homme dont l’air et les vêtements paraissaient également misérables. Ses bottes étaient sans talons, et ses gants sans doigts. On voyait des traces de souffrances, de privations, presque de désespoir sur sa figure maigre et creusée par les soucis. Il avait la conscience de sa pauvreté, car il se rangea sur le côté obscur de l’escalier, lorsque M. Pickwick approcha.

« C’est bien malheureux, disait l’étranger avec un soupir.

— Effectivement, répondit Lowten, en griffonnant son nom sur la porte, et en l’effaçant avec la barbe de sa plume. Voulez-vous lui faire dire quelque chose ?

— Quand pensez-vous qu’il reviendra ?

— Je n’en sais rien du tout, répliqua Lowten, en clignant de l’œil à M. Pickwick, pendant que l’étranger abaissait ses regards vers le plancher.