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concluant qu’ils devaient renfermer quelque signification outrageante, soit pour M. Stiggins, soit pour elle-même, soit pour tous les deux, allait se trouver infiniment plus mal, lorsque le révérend, se mettant sur ses pieds aussi bien qu’il put, commença à débiter un touchant discours pour le bénéfice de la compagnie, et principalement de Samuel Weller. Il l’adjura, en termes édifiants, de se tenir sur ses gardes, dans ce puits d’iniquités où il était tombé. Il le conjura de s’abstenir de toute hypocrisie et de tout orgueil, et, pour cela, de prendre exactement modèle sur lui-même (M. Stiggins). Bientôt alors, il arriverait à l’agréable conclusion qu’il serait, comme lui, essentiellement estimable et vertueux, tandis que toutes ses connaissances et amis ne seraient que de misérables débauchés abandonnés de Dieu, et sans nulle espérance de salut ; ce qui, ajouta M. Stiggins, est une grande consolation.

Il le supplia en outre d’éviter par-dessus toutes choses le vice d’ivrognerie, qu’il comparait aux dégoûtantes habitudes des pourceaux, ou bien à ces drogues malfaisantes qui détruisent la mémoire de celui qui les mâche. Malheureusement, à cet endroit de son discours, le révérend gentleman devint singulièrement incohérent ; et comme il était près de perdre l’équilibre à cause des grands mouvements de son éloquence, il fut obligé de se rattraper au dos d’une chaise, afin de maintenir sa perpendiculaire.

M. Stiggins n’engagea pas ses auditeurs à se défier de ces faux prophètes, de ces hypocrites marchands de religion, qui n’ayant pas le sens nécessaire pour en exposer les plus simples doctrines, ni le cœur assez bien fait pour en sentir les premiers principes, sont, pour la société, bien plus dangereux que les criminels ordinaires : car ils entraînent dans l’erreur ses membres les plus ignorants et les plus faibles, appellent le mépris sur tout ce qui devrait être le plus sacré, et font rejaillir, jusqu’à un certain point, la défiance et le dédain sur plus d’une secte vertueuse et honorable. Cependant comme M. Stiggins resta pendant fort longtemps appuyé sur le dos de sa chaise, tenant un de ses yeux fermé et clignant perpétuellement de l’autre, il est présumable qu’il pensa tout cela, mais qu’il le garda pour lui.

Mme Weller pleurait à chaudes larmes, pendant le débit de cette oraison, et sanglotait à la fin de chaque paragraphe. Sam s’étant mis à cheval sur une chaise, les bras appuyés sur