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Le malade posa sa main sur le bras du vieillard et lui fit signe de s’arrêter. Celui-ci ferma le livre et le plaça sur le lit.

« Ouvrez la fenêtre. » dit le malade.

Elle fut ouverte, et le roulement des charrettes et des carrosses, les cris des hommes et des enfants, tous les bruits affairés d’une puissante multitude, pleine de vie et d’occupations, pénétrèrent aussitôt dans la chambre, confondus en un profond murmure. Par-dessus, s’élevaient de temps en temps quelques éclats de rire joyeux ou quelques lambeaux de chansons comiques, qui se perdaient ensuite parmi le tumulte des voix et des pas, sourds mugissements des flots agités de la vie, qui roulaient pesamment au dehors.

Dans toutes les situations, ces sons confus et lointains paraissent mélancoliques à celui qui les écoute de sang-froid, mais combien plus à celui qui veille auprès d’un lit de mort !

« Il n’y a pas d’air ici, dit le malade d’une voix faible. Ces murs le corrompent. Il était frais à l’entour quand je m’y promenais, il y a bien des années, mais en entrant dans la prison il devient chaud et brûlant… Je ne puis plus le respirer.

— Nous l’avons respiré ensemble pendant longtemps, dit le savetier. Allons, allons, patience ! »

Il se fit un court silence pendant lequel les deux spectateurs s’approchèrent du lit. Le malade attira sur son lit la main de son vieux camarade de prison et la retint serrée avec affection, dans les siennes.

« J’espère, bégaya-t-il ensuite d’une voix entrecoupée et si faible que ses auditeurs se penchèrent sur son lit pour recueillir les sons à demi formés qui s’échappaient de ses lèvres livides ; j’espère que mon juge plein de clémence n’oubliera pas la punition que j’ai soufferte sur terre. Vingt années, mon ami, vingt années dans cette hideuse tombe ! Mon cœur s’est brisé, quand mon enfant est morte, et je n’ai pas même pu l’embrasser dans sa petite bière ! Depuis lors, au milieu de tous ces bruits et de ces débauches, ma solitude a été terrible. Que Dieu me pardonne ! il a vu mon agonie solitaire et prolongée ! »

Après ces mots, le vieillard joignit les mains et murmura encore quelque chose, mais si bas qu’on ne pouvait l’entendre, puis il s’endormit. Il ne fit que s’endormir d’abord, car les assistants le virent sourire.

Pendant quelques minutes ils parlèrent entre eux, à voix basse, mais le guichetier s’étant courbé sur le traversin se