Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en inspectant la bordure de son chapeau, avant de le remettre sur sa tête.

— Quoi ! le prisonnier de la chancellerie ? s’écria M. Pickwick.

— Il ne sera pas longtemps prisonnier de la chancellerie, monsieur, répliqua Roker, en tournant son chapeau, de manière à pouvoir lire le nom du chapelier.

— Vous me faites frissonner, reprit M. Pickwick. Qu’est-ce que vous voulez dire !

— Il y a longtemps qu’il est poitrinaire, et il avait bien de la peine à respirer cette nuit. Depuis plus de six mois, le docteur nous dit que le changement d’air pourrait seul le sauver.

— Grand Dieu ! s’écria M. Pickwick, cet homme a-t-il été lentement assassiné par la loi, durant six mois ?

— Je ne sais pas ça, monsieur, repartit Roker, en pesant son chapeau par les bords dans ses deux mains ; je suppose qu’il serait mort de même partout ailleurs. Il est allé à l’infirmerie ce matin. Le docteur dit qu’il faut soutenir ses forces autant que possible, et le gouverneur lui envoie du vin et du bouillon de sa maison. Ce n’est pas la faute du gouverneur, monsieur.

— Non, sans doute, répliqua promptement M. Pickwick.

— Malgré cela, reprit Roker en hochant la tête, j’ai peur que tout ne soit fini pour lui. J’ai offert à Neddy, tout à l’heure, de lui parier une pièce de vingt sous contre une de dix, qu’il n’en reviendrait pas, mais il n’a pas voulu tenir le pari, et il a bien fait. Je vous remercie, monsieur. Bonne nuit, monsieur.

— Attendez, dit M. Pickwick avec chaleur, où est l’infirmerie ?

— Juste au-dessous de votre chambre, monsieur, je vais vous la montrer si vous voulez. »

M. Pickwick saisit son chapeau sans parler et suivit immédiatement le guichetier.

Celui-ci le conduisit en silence, et levant doucement le loquet de la porte de l’infirmerie, lui fit signe d’entrer. C’était une grande chambre nue, désolée, où il y avait plusieurs lits de fer ; l’un d’eux contenait l’ombre d’un homme maigre, pâle, cadavéreux. Sa respiration était courte et oppressée : à chaque minute il gémissait péniblement. Au chevet du lit était assis un petit vieux, portant un tablier de savetier, et qui, à l’aide d’une paire de lunettes à monture de corne, lisait tout haut un passage de la bible. C’était l’heureux légataire.