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« Je le savais bien, s’écria celui-ci avec un gros rire, ne l’ai-je pas dit, Neddy ? »

Le sage possesseur du couteau universel fit entendre un grognement affirmatif.

« Parbleu ! je savais qu’il vous fallait une chambre à vous seul. Voyons ! Il vous faudra des meubles ; c’est moi qui vous les louerai, je suppose, suivant l’usage.

— Avec grand plaisir, répliqua M. Pickwick.

— Il y a dans l’escalier du café une chambre magnifique qui appartient à un prisonnier de la chancellerie : elle vous coûtera une livre sterling par semaine. Je suppose que vous ne regardez pas à cela ?

— Pas le moins du monde.

— Venez avec moi, cria M. Roker en prenant son chapeau avec une grande vivacité. L’affaire sera faite en cinq minutes. Que diable ! pourquoi n’avez-vous pas commencé par dire que vous consentiez à bien faire les choses ? »

Comme le guichetier l’avait prédit, l’affaire fut promptement arrangée. Le prisonnier de la Chancellerie était là depuis assez longtemps pour avoir perdu amis, fortune, habitudes, bonheur, et pour avoir acquis en échange le droit d’avoir une chambre à lui tout seul. Cependant, comme il éprouvait le léger inconvénient de manquer souvent d’un morceau de pain, il consentit avec empressement à céder cette chambre à M. Pickwick, moyennant la somme hebdomadaire de vingt shillings, sur laquelle il s’engageait, en outre, à payer l’expulsion de toute personne qui pourrait être envoyée comme copin dans cet appartement.

Pendant que ce marché se concluait, M. Pickwick examinait le prisonnier avec un intérêt pénible. C’était un grand homme décharné, cadavéreux, enveloppé d’une vieille redingote, et dont les pieds sortaient à moitié de ses pantoufles éculées. Son regard était inquiet, ses joues pendantes, ses lèvres pâles, ses os minces et aigus. Le malheureux ! on voyait que la dent de fer de l’isolement et du besoin l’avait lentement rongé depuis vingt années !

« Et vous, monsieur, où allez-vous demeurer maintenant ? lui demanda M. Pickwick en déposant d’avance, sur la table chancelante, la première semaine de son loyer. »

L’homme ramassa l’argent d’une main agitée et répliqua qu’il n’en savait rien encore, mais qu’il allait voir où il pourrait transporter son lit.