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l’entendre, qu’il le reconnaissait pour un original pur sang et partant pour l’homme suivant son cœur. Quant à M. Pickwick, l’affection qu’il conçut pour lui en ce moment ne connut plus de bornes.

« Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous, mon cher monsieur ? lui dit-il.

— Rien que je sache ; je vous suis obligé, répondit le philosophe.

— Vous n’avez pas de linge à envoyer à la blanchisseuse ? Je connais une admirable blanchisseuse dans le voisinage. Elle vient pour moi deux fois par semaine… Par Jupiter ! comme c’est heureux ! c’est justement son jour ! Mettrai-je quelques-unes de vos petites affaires avec les miennes ? Ne parlez pas de l’embarras : au diable l’embarras ! À quoi servirait l’humanité, si un gentleman dans le malheur ne se dérangeait pas un peu pour assister un autre gentleman qui se trouve dans le même cas ? »

Ainsi parlait M. Smangle en s’approchant en même temps du porte-manteau aussi près que possible, et laissant voir dans ses regards toute la ferveur de l’amitié la plus désintéressée.

« Est-ce que vous n’avez rien à faire brosser au garçon, mon cher ami ? continua-t-il.

— Rien du tout mon fiston, dit Sam en se chargeant de la réplique. Peut-être que si l’un de nous avait la bonne idée de décamper sans attendre le garçon, ça serait plus agréable pour tout le monde, comme disait le maître d’école au jeune gentleman qui refusait de se laisser fouetter par le domestique.

— Et il n’y a rien que je puisse envoyer dans ma petite boîte à la blanchisseuse ? ajouta M. Smangle en se tournant de nouveau vers M. Pickwick avec un air quelque peu déconfit.

— Pas l’ombre d’une camisole, monsieur, rétorqua Sam. J’ai peur que la petite boîte ne soit déjà comble de vos effets. »

Ce discours fut accompagné d’un coup d’œil expressif jeté sur cette partie du costume de M. Smangle qui atteste ordinairement la science de la blanchisseuse ; aussi ce gentleman se crut-il obligé de tourner sur ses talons et d’abandonner, pour le présent du moins, toutes prétentions sur la bourse et sur la garde-robe de M. Pickwick. Il se retira donc d’assez mauvaise humeur au jeu de paume, où il déjeuna légèrement et sainement d’une couple des cigares qui avaient été achetés le soir précédent.