Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— C’est un gentleman des plus aimables ; spirituel en diable… je ne connais personne qui le soit plus, mais… » Ici M. Smangle s’arrêta court en hochant la tête d’un air dubitatif.

« Vous ne regardez pas comme probable qu’il approprie cet argent à ses besoins personnels ? demanda M. Pickwick.

— Oh ! non ! je ne dis pas cela. J’ai dit en toutes lettres que c’était un gentleman des plus aimables. Mais je pense qu’il n’y aurait pas de mal à ce que quelqu’un descendît par hasard pour voir s’il ne trempe pas son bec dans le bol, ou s’il ne perd pas la monnaie le long du chemin. « Ici, hé ! monsieur ! dégringolez en bas, s’il vous plaît, et voyez un peu ce que fait le gentleman qui vient de descendre. »

Cette requête était adressée à un jeune homme à l’air timide, modeste, dont l’extérieur annonçait une grande pauvreté, et qui, pendant tout ce temps, était resté aplati sur son lit, pétrifié, en apparence, par la nouveauté de sa situation.

« Vous savez où est le café, n’est-ce pas ? Descendez seulement et dites au gentleman que vous êtes venu l’aider à monter le bol… ou bien… attendez… je vais vous dire ce que… je vais vous dire comment nous l’attraperons, dit Smangle d’un air malin.

— Comment cela ? demanda M. Pickwick.

— Faites-lui dire qu’il emploie le reste en cigares. Fameuse idée ! Courez vite lui dire cela, entendez-vous ? Ils ne seront pas perdus, continua Smangle, en se tournant vers M. Pickwick, je les fumerai au besoin. »

Cette manœuvre était si ingénieuse, et elle avait été accomplie avec un aplomb si admirable, que M. Pickwick n’aurait pas voulu y mettre d’obstacle, quand même il l’aurait pu. Au bout de peu de temps, M. Mivins revint apportant le Xérès, que M. Smangle distribua dans deux petites tasses fêlées, faisant observer judicieusement par rapport à lui-même, qu’un gentleman ne doit pas être difficile, dans de semblables circonstances, et que, quant à lui, il n’était pas trop fier pour boire à même dans le bol. En même temps pour montrer sa sincérité, il porta un toast à la compagnie, et vida le vase presque en entier.

Une touchante harmonie ayant été établie de cette manière, M. Smangle commença à raconter diverses anecdotes romanesques de sa vie privée, concernant, entre autres choses, un cheval pur sang, et une magnifique juive, l’un et l’autre d’une