Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dans cette disposition d’esprit, il rentra dans la galerie du café et s’y promena lentement. L’endroit était intolérablement malpropre, et l’odeur du tabac y devenait absolument suffocante ; on y entendait un perpétuel tapage de portes ouvertes et fermées, et le bruit des voix et des pas y retentissait constamment. Une jeune femme, qui tenait dans ses bras un enfant, et qui semblait à peine capable de se traîner, tant elle était maigre et avait l’air misérable, marchait le long du corridor en causant avec son mari, qui n’avait pas d’autre asile pour la recevoir. Lorsque cette femme passait auprès de M. Pickwick, il l’entendait sangloter amèrement, et, une fois, elle se laissa aller à un tel transport de douleur, qu’elle fut obligée de s’appuyer contre le mur pour se soutenir, tandis que le mari prenait l’enfant dans ses bras, et s’efforçait vainement de la consoler.

Le cœur de notre excellent ami était trop plein pour pouvoir supporter ce spectacle ; il monta les escaliers et rentra dans sa chambre.

Or, quoique la salle des gardiens fût extrêmement incommode, étant, pour le bien-être aussi bien que pour la décoration, à plusieurs centaines de degrés au-dessous de la plus mauvaise infirmerie d’une prison de province ; elle avait, pour le présent, le mérite d’être tout à fait déserte. M. Pickwick s’assit donc au pied de son petit lit de fer, et entreprit de calculer combien d’argent on pouvait tirer de cette pièce dégoûtante. S’étant convaincu, par une opération mathématique, qu’elle rapportait autant de revenu qu’une petite rue des faubourgs de Londres, il en vint à se demander, avec étonnement, quelle tentation pouvait avoir une petite mouche noirâtre, qui rampait sur son pantalon, à venir dans une prison mal aérée, quand elle avait le choix de tant d’endroits agréables. Ses réflexions sur ce sujet l’amenèrent, par une suite de déductions rigoureuses, à cette conclusion, que l’insecte était fou. Après avoir décidé cela, il commença à s’apercevoir qu’il s’assoupissait ; il tira donc de sa poche son bonnet de nuit, qu’il avait eu la précaution d’y insérer le matin, et s’étant déshabillé tout doucement, il se glissa dans son lit et s’endormit profondément.

« Bravo, zéphyre ! Bien détaché ! En voilà un d’entrechat ! Je veux être damné si l’opéra n’est pas votre sphère ! Allons, hurrah !… »

Ces exclamations, plusieurs fois répétées du ton le plus