Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.

revenant toujours régulièrement, un quart d’heure avant la fermeture des grilles. Ça allait bien et confortablement ; mais fin finale, il commença à se mettre si joliment en train, qu’il oubliait que le temps marchait, ou qu’il ne s’en souciait pas, et il arrivait de plus en plus tard, jusqu’à ce qu’une nuit son vieil ami allait justement fermer la porte. Il avait déjà tourné la clef quand l’autre rentra. « Un moment, Bill, qu’il dit. — Comment, Numéro Vingt, dit le guichetier, vous n’étiez pas encore rentré ? — Non, fit le petit homme avec un sourire. — Eh bien ! alors, je vous dirai ce qui en est, mon ami, dit le guichetier en ouvrant la porte lentement et d’un air bourru. C’est mon opinion que vous avez fait de mauvaises connaissances dernièrement, et que vous vous dérangez ; j’en suis très-fâché. Voyez-vous, je ne veux pas vous désobliger, qu’il dit ; mais si vous ne vous bornez pas à voir des gens comme il faut, et si vous ne revenez pas à des heures régulières, aussi sûr comme vous êtes là, je vous laisserai à la porte tout à fait. » Le petit homme fut saisi d’un tremblement, et jamais il n’a mis le pied hors de la prison depuis. »

Pendant ce discours, M. Pickwick avait lentement redescendu les escaliers. Après avoir fait quelques tours dans la cour peinte, qui était presque déserte à cause de l’obscurité, il engagea Sam à se retirer pour la nuit et à chercher un lit dans quelque auberge voisine, afin de revenir le lendemain de bonne heure pour faire apporter ses effets du George et Vautour. Sam se prépara à obéir à cette requête d’aussi bonne grâce qu’il lui fut possible, mais néanmoins avec une expression de mécontentement fort notable. Il alla même jusqu’à essayer diverses insinuations sur la convenance de se coucher dans une des cours de la prison pour cette nuit ; mais, trouvant que M. Pickwick était obstinément sourd à de telles suggestions, il se retira définitivement.

On ne saurait dissimuler que M. Pickwick se trouvait fort peu confortable et fort mélancolique. En effet, quoique la prison fût pleine de monde et qu’une bouteille de vin lui eût immédiatement procuré la société de quelques esprits choisis, sans aucun embarras de présentation formelle, il se sentait absolument seul dans cette foule grossière. Il ne pouvait donc résister à l’abattement inspiré par la perspective d’une prison perpétuelle ; car, pour ce qui est de se libérer en satisfaisant la friponnerie et la rapacité de Dodson et Fogg, sa pensée ne s’y arrêta pas un seul instant.