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braillent. Il n’est pas possible que la prison les affecte beaucoup.

— Ah ! voilà justement la chose, monsieur. Ils ne s’affectent pas, ceux-là. C’est tous les jours fête pour eux, tout porter et jeux de quilles. C’est les autres qui s’affectent de ça : les pauvres diables qui ont le cœur tendre, et qui ne peuvent pas pomper la bière, ni jouer aux quilles ; ceux qui prieraient, s’ils pouvaient, et qui se rongent le cœur quand ils sont enfermés. Je vais vous dire ce qui en est, monsieur ; ceux qui sont toujours à flâner dans les tavernes, ça ne les punit pas du tout ; et ceux qui sont toujours à travailler quand ils peuvent, ça les abîme trop. C’est inégal, comme disait mon père quand il n’y avait pas une bonne moitié d’eau-de-vie dans son grog ; c’est inégal, et voilà pourquoi ça ne vaut rien.

— Je crois que vous avez raison, Sam, dit M. Pickwick, après quelques moments de réflexion ; tout à fait raison.

— Peut-être qu’il y a par-ci par-là quelques honnêtes gens qui s’y plaisent, poursuivit Sam, en ruminant ; mais je ne peux pas m’en rappeler beaucoup, excepté le petit homme crasseux, en habit brun, et c’était la force de l’habitude.

— Qui était-ce donc ?

— Voilà précisément ce que personne n’a jamais su.

— Mais qu’est-ce qu’il faisait ?

— Ah ! il avait fait comme beaucoup d’autres qui sont bien plus connus. Il avait trop de crédit sur la place et il s’en était servi.

— En d’autres termes, il avait des dettes, je suppose.

— Juste la chose, monsieur ; et, au bout d’un certain temps, il est venu ici, en conséquence. Ce n’était pas pour beaucoup : exécution pour neuf livres sterling, multipliées par cinq, pour les frais. Mais c’est égal, il est resté ici, sans en bouger, pendant dix-sept ans. S’il avait gagné quelques rides sur la face, elles étaient effacées par la crasse, car son visage malpropre et son habit brun étaient juste les mêmes à la fin du temps qu’ils étaient au commencement. C’était une petite créature paisible et inoffensive, courant toujours pour celui-ci ou celui-là, ou jouant à la paume et ne gagnant jamais ; si bien qu’à la fin les geôliers étaient devenus tout à fait amoureux de lui, et il était dans la loge tous les soirs à bavarder avec eux, et à leur compter des histoires et tout ça. Un soir qu’il était, comme d’habitude, tout seul avec un de ses vieux amis, qui était de garde, il dit tout d’un coup : « Je n’ai pourtant pas