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personnes qui s’y trouvaient, et ayant envoyé Sam pour chercher M. Perker, se retira dans un coin obscur, et de là regarda avec quelque curiosité ses nouveaux compagnons.

Un de ceux-ci était un jeune garçon de dix-neuf ou vingt ans, qui, quoiqu’il fût à peine dix heures du matin, buvait de l’eau et du genièvre, et fumait un cigare, amusements auxquels il devait avoir dévoué presque constamment les deux ou trois dernières années de sa vie, à en juger par sa contenance enflammée. En face de lui, et s’occupant à attiser le feu avec le bout de sa botte droite, se trouvait un jeune homme, d’environ trente ans, épais, vulgaire, au visage jaune, à la voix dure, et possédant évidemment cette connaissance du monde et cette séduisante liberté de manières qui s’acquiert dans les salles de billards et les estaminets de bas étage. Le troisième prisonnier était un homme d’un certain âge, vêtu d’un très-vieil habit noir. Son visage était pâle et hagard, et il parcourait incessamment la chambre, s’arrêtant de temps en temps pour regarder par la fenêtre avec beaucoup d’inquiétude, comme s’il eût attendu quelqu’un. Après quoi il recommençait à marcher.

« Vous feriez mieux d’accepter mon rasoir ce matin, M. Ayresleigh, » dit l’homme qui attisait le feu, en clignant de l’œil à son ami, le jeune garçon.

— Non, je vous remercie, je n’en aurai pas besoin. Je compte bien être dehors avant une heure ou deux, » répliqua l’autre avec précipitation ; puis allant, une fois de plus, à la fenêtre, et revenant encore désappointé, il soupira profondément et quitta la chambre. Les deux autres poussèrent des éclats de rire bruyants.

« Eh bien, je n’ai jamais vu une farce comme cela ! dit le gentleman qui avait offert le rasoir, et dont le nom paraissait être Price. Jamais ! » Il confirma cette assertion par un juron, et recommença à rire ; en quoi il fut imité par le jeune garçon qui le regardait évidemment comme un modèle accompli.

« Croiriez-vous, continua Price en se tournant vers M. Pickwick, que ce bonhomme-là, qui est ici depuis huit jours, ne s’est point encore rasé une fois ? Il se croit si sûr de sortir avant une demi-heure, qu’il aime autant attendre qu’il soit rentré chez lui.

— Pauvre homme ! dit M. Pickwick. A-t-il réellement quelques chances de se tirer d’affaire ?

— Des chances ? il n’en a pas la queue d’une. Je ne donne-