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bablement il se serait contenté de lever la tête et de remarquer que la jeune servante avait l’air très-gentille, si ses sentiments de galanterie n’avaient pas été fortement remués, en voyant qu’il ne se trouvait là personne pour aider la pauvrette, et que les tapis paraissaient bien pesants pour ses mains délicates. Sam était un gentleman fort galant à sa manière. Aussitôt qu’il eut remarqué cette circonstance, il quitta brusquement sa pierre, et s’avançant vers la jeune fille : « Ma chère, dit-il d’un ton respectueux, vous gâterez vos jolies proportions, si vous secouez ces tapis là toute seule. Laissez-moi vous aider. »

La jeune bonne, qui avait modestement affecté de ne pas savoir qu’un gentleman était si près d’elle, se retourna au discours de Sam, dans l’intention (comme elle le dit plus tard elle-même) de refuser l’offre d’un étranger, quand, au lieu de répondre, elle tressaillit, recula et poussa un léger cri, qu’elle s’efforça vainement de retenir. Sam n’était guère moins bouleversé : car dans la physionomie de la servante, à la jolie tournure, il avait reconnu les traits de sa bien-aimée, la gentille bonne de M. Nupkins.

« Ah ! Mary, ma chère !

— Seigneur ! M. Weller ! comme vous effrayez les gens ! »

Sam ne fit pas de réponse verbale à cette plainte, et nous ne pouvons même pas dire précisément quelle réponse il fit. Seulement nous savons qu’après un court silence, Mary s’écria : « Finissez donc, M. Weller ! » et que le chapeau de Sam était tombé quelques instants auparavant, d’après quoi nous sommes disposés à imaginer qu’un baiser, ou même plusieurs, avaient été échangés entre les deux parties.

« Pourquoi donc êtes-vous venu ici ? demanda Mary quand la conversation, ainsi interrompue, fut reprise.

— Vous voyez bien que je suis venu ici pour vous chercher ma chère, répondit Sam, permettant pour une fois à sa passion de l’emporter sur sa véracité.

— Et comment avez-vous su que j’étais ici ? Qui peut vous avoir dit que j’étais entrée chez d’autres maîtres à Ipswich, et qu’ensuite ils étaient venus dans ce pays-ci ? Qui donc a pu vous dire ça, M. Weller ?

— Ah, oui ! reprit Sam avec un regard malin, voilà la question : qui peut me l’avoir dit ?

— Ce n’est pas M. Muzzle, n’est-ce pas ?

— Oh ! non, répliqua Sam avec un branlement de tête solennel, ce n’est pas lui.