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extraordinaire du jeune docteur, qu’il avait précipitamment battu en retraite jusqu’à la porte, et paraissait fort troublé par cette étrange réception.

« Comment ! Est-ce que vous ne me reconnaissez pas ? » s’écria le chirurgien-apothicaire.

M. Winkle balbutia qu’il n’avait pas ce plaisir.

« Ah ! bien alors, il y a encore de l’espoir pour moi ! Je puis soigner la moitié des vieilles femmes de Bristol, si j’ai un peu de chance. Maintenant, au diable, vieux bouquin moisi ! » Cette adjuration s’adressait au gros volume, que le studieux pharmacien lança, avec une vigueur remarquable, à l’autre bout de la boutique ; puis, retirant ses lunettes vertes, il découvrit aux regards stupéfaits de M. Winkle, le ricanement identique de Robert Sawyer, esquire, ci-devant étudiant à l’hôpital de Guy, dans le Borough, et possesseur d’une résidence privée dans Lant-Street.

« Vous veniez pour me voir, n’est-ce pas ? vous ne direz pas le contraire ? s’écria M. Bob Sawyer en secouant amicalement la main de M. Winkle.

— Non, sur ma parole ! répliqua celui-ci en serrant la main de M. Sawyer.

— Quoi ! vous n’avez pas remarqué mon nom ? demanda Bob en appelant l’attention de son ami sur la porte extérieure, au-dessus de laquelle étaient tracés ces mots : Sawyer successeur de Nockemorf.

— Mes yeux ne sont pas tombés dessus, dit M. Winkle.

— Ma foi ! si j’avais su que c’était vous, reprit Bob, je me serais précipité et je vous aurais reçu dans mes bras. Mais, sur mon honneur, je croyais que vous étiez le percepteur des contributions.[1]

— Pas possible !

— Vrai. J’allais vous dire que je n’étais pas à la maison, et que si vous vouliez me laisser un message, je ne manquerais pas de me le remettre ; car le collecteur des taxes ne me connaît point, pas plus que celui de l’éclairage, ni du pavé. Je crois que le collecteur de l’église soupçonne qui je suis, et je sais que celui des eaux ne l’ignore pas, parce que je lui ai tiré une dent le premier jour que je suis venu ici. Mais entrez, entrez donc ! »

  1. Le gouvernement anglais a l’obligeance de faire toucher les taxes chez les contribuables.