Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Fâché de vous boucher le feu, Weller, dit M. Tuckle avec un signe de tête familier. J’espère que vous n’avez pas froid, Weller ?

— Pas le moins du monde, Flambant, répliqua Sam. Faudrait un sujet bien glacé pour avoir froid vis-à-vis de vous. Vous économiseriez la houille si on vous mettait sur la grille, dans une salle publique ; vrai ! »

Comme cette réplique paraissait faire une allusion personnelle à la livrée écarlate de M. Tuckle, il prit un air majestueux durant quelques secondes. Pourtant il s’éloigna graduellement du feu, et dit avec un sourire forcé :

« Pas mauvais, pas mauvais.

— Je vous suis bien obligé pour votre bonne opinion, monsieur, reprit Sam. Nous arriverons peu à peu, j’espère. Plus tard, nous en essayerons un meilleur. »

En cet endroit la conversation fut interrompue par l’arrivée d’un gentleman vêtu de peluche orange. Il était accompagné d’un autre personnage en drap pourpre, avec un remarquable développement de bas. Les nouveaux venus ayant été congratulés par les anciens, M. Tuckle proposa de faire apporter le souper, et cette proposition fut adoptée unanimement.

Le fruitier et sa femme déposèrent alors sur la table un plat de mouton bouilli, avec une sauce chaude aux câpres, des navets et des pommes de terre. M. Tuckle prit le fauteuil, et eut pour vice-président le gentleman en peluche orange. Le fruitier mit une paire de gants de castor pour donner les assiettes et se plaça derrière la chaise de M. Tuckle.

« Harris ! dit celui-ci d’un ton de commandement.

— Monsieur ?

— Avez-vous mis vos gants ?

— Oui, monsieur.

— Alors ôtez le couvercle.

— Oui, monsieur. »

Le fruitier, avec de grandes démonstrations d’humilité, fit ce qui lui était ordonné, et tendit obséquieusement à M. Tuckle le couteau à découper ; mais, en faisant cela, il vint par hasard à bâiller.

« Qu’est-ce que cela veut dire, monsieur ? lui dit M. Tuckle avec une grande aspérité.

— Je vous demande pardon, monsieur, répondit le fruitier, décontenancé. Je ne l’ai pas fait exprès, monsieur. J’ai veillé tard la nuit dernière.