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Edmunds descendit la colline et traversa le village. La saison était chaude, et les habitants, assis à leur porte ou se promenant dans leur petit jardin, jouissaient de la fraîcheur du soir et des douceurs du repos, après les fatigues de la journée. Beaucoup de regards se dirigèrent vers l’étranger, et il jeta à droite et à gauche bien des coups d’œil inquiets, pour voir si on se souvenait de lui et si on l’évitait. Il y avait des figures nouvelles dans presque toutes les maisons ; à la porte de quelques-unes il reconnaissait la physionomie d’un camarade d’école, un bambin lorsqu’il l’avait quitté, et maintenant environné de ses joyeux enfants : devant d’autres chaumières il voyait, assis dans un fauteuil, un vieillard faible et infirme, qu’il se rappelait avoir connu encore jeune et vigoureux. Tous l’avaient oublié et il passa sans que personne lui adressât une parole.

Les derniers et doux rayons du soleil avaient jeté sur la terre une riche teinte de pourpre, donnant un éclat doré aux épis jaunis et allongeant l’ombre des arbres, lorsqu’il arriva devant la vieille maison, la maison de son enfance, après laquelle son cœur avait soupiré si souvent, si ardemment, durant de longues et pénibles années de captivité et de douleur. La palissade était basse, quoiqu’il se rappelât le temps où elle lui paraissait gigantesque ; il regarda par-dessus dans le jardin. Il y vit beaucoup plus de fleurs qu’il n’y en avait autrefois, mais les vieux arbres y étaient encore. Il reconnut celui sous lequel il s’était couché mille fois lorsqu’il était fatigué de jouer au soleil, laissant doucement aller ses sens au léger sommeil d’une enfance heureuse. Il entendit des voix dans l’intérieur de la maison, mais elles affectèrent péniblement son oreille, car il ne les connaissait point, et elles exprimaient la gaieté. Or il savait bien que sa pauvre vieille mère ne pouvait pas être gaie, lui absent. La porte s’ouvrit et il en vit sortir une troupe de petits enfants riant et gambadant.

Le père, avec un marmot dans ses bras, parut sur le seuil et les enfants se pressèrent autour de lui, frappant joyeusement des mains, et le tirant de toutes leurs forces pour lui faire prendre part à leurs jeux. Le convict se rappela combien de fois, à la même place, il s’était dérobé aux regards de son père ; il se rappela combien de fois il avait caché sous ses draps sa tête tremblante, en entendant les sanglots étouffés de sa malheureuse mère quand elle avait été injuriée et battue par son mari furieux. Il se détourna, et ses poings étaient crispés,