Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

saisissant soudainement M. Pickwick par la jambe, au hasard imminent de lui faire perdre l’équilibre, brossait ses bottes avec tant d’ardeur que ses cors en rougirent au blanc. Dans le même temps, un second domestique frottait M. Winkle avec une énorme brosse, tout en produisant avec sa bouche cette espèce de sifflement que les garçons d’écurie ont l’habitude de faire entendre quand ils étrillent un cheval.

Quant à M. Snodgrass, après avoir terminé ses ablutions, il tourna son dos au feu, et savourant avec délices son eau-de-vie, il se mit à examiner la pièce où il se trouvait.

D’après la description qu’il en a faite, c’était une vaste chambre pavée de briques rouges. La cheminée paraissait immense ; le plafond s’honorait d’une garniture de bottes d’oignons, de jambons et de lard ; les murs étaient décorés de plusieurs cravaches, de deux ou trois brides, d’une selle et d’une vieille espingole rouillée. Au-dessous de celle-ci, on lisait en gros caractère : CHARGÉE, et elle devait l’être depuis plus d’un demi-siècle, s’il fallait en croire son apparence et celle de l’inscription. Un vieux coucou, au mouvement tranquille et solennel, tictaquait gravement dans un coin, tandis qu’une montre d’argent, d’une égale antiquité, se dandinait à l’un des nombreux crochets dont la muraille était semée.

« Êtes-vous prêts ? demanda le vieux gentleman à ses hôtes, quand il les vit bien lavés, bien recousus, bien brossés, bien restaurés.

— Tout à fait, répondit M. Pickwick.

— Alors, venez avec moi. » Trois des voyageurs le suivirent à travers plusieurs corridors sombres, ils furent rejoints à la porte du salon par M. Tupman, qui était resté derrière pour dérober un baiser à Emma, mais qui n’avait obtenu, pour toute récompense, qu’un certain nombre de bourrades et d’égratignures. Cependant le vieillard les introduisit en disant : « Gentlemen, soyez les bienvenus à Manoir-ferme. »