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sier de charbon de terre. À côté, sur une vieille table à trois pieds, il y avait plusieurs fioles, un miroir brisé et quelques autres ustensiles. Un enfant dormait sur un matelas étendu par terre, et sa mère était assise auprès de lui, sur une chaise à moitié brisée. Quelques assiettes, quelques tasses, quelques écuelles, étaient placées sur une couple de tablettes : au-dessous on avait accroché des fleurets avec une paire de souliers de théâtre, et ces objets composaient seuls l’ameublement de la chambre, si l’on excepte deux ou trois petits paquets de haillons, jetés en désordre dans les coins.

Tandis que je considérais cette scène de désolation et que je remarquais la respiration pesante, les soubresauts fiévreux du misérable comédien, il se tournait et se retournait sans cesse pour trouver une position moins douloureuse. Une de ses mains sortit de son lit et me toucha : il tressaillit et me regarda avec des yeux hagards.

« John, lui dit sa femme, c’est M. Hutley que vous avez envoyé cherché ce soir, vous savez.

— Ha ! dit-il en passant sa main sur son front, Hutley ! Hutley ! voyons. Pendant quelques secondes il parut s’efforcer de rassembler ses idées, et ensuite, me saisissant fortement par le poignet, il s’écria : Oh ! ne me quittez pas ! ne me quittez pas, vieux camarade ! Elle m’assassinera. Je sais qu’elle en a envie.

— Y a-t-il longtemps qu’il est comme cela ? demandai-je à cette femme qui pleurait.

— Depuis hier soir, monsieur. John ! John ! ne me reconnaissez-vous pas ? »

En disant ces mots elle se courbait vers son lit, mais il s’écria avec un frisson d’effroi :

« Ne la laissez pas approcher ! Repoussez-la ! Je ne peux pas la supporter près de moi ! En parlant ainsi il la regardait d’un air égaré et plein d’une terreur mortelle, puis il me dit à l’oreille : Je l’ai battue, Jem. Je l’ai battue hier, et bien d’autres fois auparavant. Je l’ai fait mourir de faim, et son enfant aussi ; et maintenant que je suis faible et sans secours, elle va m’assassiner. Je sais qu’elle en a envie. Si comme moi, aussi souvent que moi, vous l’aviez entendue gémir et crier, vous n’en douteriez pas. Éloignez-la ! »

En achevant ces mots il lâcha ma main et retomba épuisé sur son oreiller.

Je n’entendais que trop ce que cela signifiait. Si j’avais pu en douter un seul instant, il m’aurait suffi, pour le comprendre,