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en s’interposant pour prévenir la rebuffade publique que Sam aurait infailliblement reçue de son maître ; et donnez-leur à chacun un verre de vin pour boire le toast ; maintenant, Pickwick… »

Parmi le silence de la compagnie, le chuchotement des domestiques femelles, et l’embarras craintif des mâles, M. Pickwick poursuivit :

« Ladies et gentlemen… non… je ne dirai pas ladies et gentlemen, je vous appellerai mes amis, mes chers amis, si les dames veulent m’accorder une si grande liberté… » Ici M. Pickwick fut interrompu par les applaudissements frénétiques des dames, répétés par les gentlemen, et durant lesquels la propriétaire des yeux noirs fut entendue déclarer distinctement qu’elle embrasserait volontiers ce cher M. Pickwick ; M. Winkle demanda galamment si cela ne pourrait pas se faire par procuration ; mais la jeune lady aux yeux noirs lui répliqua ; « par exemple ! » en accompagnant cette réponse d’une œillade qui disait clairement : essayez !

« Mes chers amis, reprit M. Pickwick, je vais proposer la santé du marié et de la mariée, que Dieu les bénisse ! (Larmes et applaudissements.) Mon jeune ami Trundle est, comme je crois, un excellent et brave jeune homme ; et je sais que sa femme est une très-aimable et très-charmante fille, bien capable de transférer dans une autre sphère le bonheur qu’elle a répandu autour d’elle pendant vingt années dans la maison paternelle » (Ici le gros joufflu laissa éclater des pleurnicheries stentoriennes, et Sam, le saisissant par le collet, l’entraîna hors de la chambre.) « Je voudrais, poursuivit M. Pickwick, je voudrais être assez jeune pour devenir le mari de sa sœur. (Applaudissements.) Mais cela n’étant pas, je suis heureux de me trouver assez vieux pour être son père, afin de ne pas être soupçonné d’avoir quelques projets cachés si je dis que je les admire, que je les estime et que je les aime toutes les deux. (Applaudissements et sanglots.) Le père de la mariée, notre bon ami ici présent, est un noble caractère, et je suis orgueilleux de le connaître. (Grand tapage.) C’est un homme excellent, indépendant, affectueux, hospitalier, libéral. (Cris enthousiastes des pauvres parents à chacun de ces adjectifs, et spécialement aux deux derniers.) Puisse sa fille jouir de tout le bonheur que lui-même peut lui souhaiter, puisse-t-il trouver dans la contemplation de ce bonheur toute la satisfaction de cœur et d’esprit qu’il mérite si bien. Tels sont, j’en suis bien