Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE XXIII.

Dans le quel Samuel Weller s’occupe énergiquement de prendre sa revanche de M. Trotter.

À une heure un peu plus avancée de cette même matinée dont le commencement avait été signalé par l’aventure de M. Pickwick avec la dame aux papillotes jaunes, dans la petite chambre située auprès des écuries, M. Weller aîné faisait les préparatifs de son retour à Londres. Il était parfaitement posé pour se faire peindre, et, profitant de l’occasion, nous allons esquisser son portrait.

Son profil avait pu présenter dans sa jeunesse des lignes hardies et fortement accentuées, mais grâce à la bonne chère, grâce à un caractère qui se pliait aux circonstances avec une extrême facilité, les courbes charnues de ses joues s’étaient étendues bien au-delà des limites qui leur avaient été originairement assignées par la nature ; si bien qu’à moins de le regarder en face, il était difficile de distinguer dans son visage autre chose que le bout d’un nez rubicond. La même cause avait fait acquérir à son menton la forme grave et imposante que l’on décrit communément, en faisant précéder de l’épithète double le nom de ce trait expressif de la physionomie humaine. Enfin, son teint présentait cette combinaison de couleurs qui ne se rencontrent guère que chez les gentlemen de sa profession, ou sur un filet de bœuf mal rôti. Autour de son cou il portait un châle de voyage écarlate, qui s’adaptait si parfaitement à son menton qu’il était difficile de distinguer les plis de l’un d’avec les plis de l’autre ; par-dessus ce châle il mit un long gilet d’une grosse étoffe rouge à larges raies roses, et par-dessus ce gilet un immense habit vert, orné de gros boutons de cuivre ; et parmi ces boutons ceux qui garnissaient la taille étaient si éloignés l’un de l’autre, que nul mortel ne les avait jamais vus tous les deux à la fois. Les cheveux de M. Weller étaient courts, lisses, noirs, et s’apercevaient à peine sous les bords gigantesques d’un chapeau brun à forme