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cheur ? oùs qu’est le misérable pécheur ? » Et v’là toutes les femmes qui gémissent dix fois pus fort qu’auparavant. Moi j’ deviens un peu sauvage, là-dessus ; ainsi j’ fais un pas ou deux en avant et j’ lui dis : « Mon ami, que j’ dis, c’est-il à moi que vous avez appliqué c’te observation-là ? » Au lieu de me demander excuse, comme on doit faire entre gen’l’m’n, v’là qu’i’ devient pus outrageux que jamais. I’ m’appelle un vase, Sammy, un vase de perdition, et toutes sortes de quolibets, si bien que mon sang me bouillait, et je lui donne deux ou trois gifles pour lui, et deux ou trois autres pour repasser au nez rouge, et puis j’ m’en vas. J’aurais voulu que tu eusses entendu les femelles crier, Sammy, quand elles ont ramassé le berger de dessous la table… — Ohé ! v’là l’gouverneur, grandeur naturelle… »

En effet, M. Pickwick descendait de cabriolet et entrait dans la cour, pendant que M. Weller prononçait ces mots.

« Une belle matinée, mossieu, dit-il au philosophe.

— Très-belle, en vérité, répondit celui-ci.

— Très-belle, en vérité, répéta un homme orné de cheveux roux, d’un nez inquisitif, de lunettes bleues, et qui avait débarqué d’un autre cabriolet en même temps que M. Pickwick.

« Vous allez à Ipswich, monsieur ? demanda-t-il à notre héros.

— Oui, monsieur.

— Coïncidence extraordinaire ! j’y vais aussi. »

M. Pickwick le salua.

« Vous voyagez en dehors ? demanda encore l’homme aux cheveux rouges. »

M. Pickwick salua de nouveau.

« Dieu de Dieu ! comme c’est remarquable ! Je vais en dehors aussi. Nous allons positivement voyager ensemble ! » En prononçant ces mots, d’un air mystérieux et important, l’homme aux cheveux rouges se prit à sourire, avec la même complaisance que s’il avait fait l’une des découvertes les plus étranges qui aient jamais récompensé la sagacité humaine.

« Monsieur, lui dit M. Pickwick, je suis heureux d’avoir votre compagnie.

— Ah ! reprit le nouveau venu, qui avait un nez effilé et l’habitude de secouer la tête, comme un oiseau, à chaque parole ; ah ! c’est une bonne chose pour tous les deux, n’est-ce pas ? La compagnie, voyez-vous, la compagnie est… est une chose fort différente de la solitude, n’est-ce pas ?