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que manière, au sujet terrible qui remplissait son esprit. Il naviguait sur une mer sans bornes. Le ciel brûlant paraissait ensanglanté ; les vagues furieuses bondissaient, tourbillonnaient de toutes parts. Un autre vaisseau labourait péniblement les flots agités : ses voiles déchirées flottaient comme des rubans sur ses mâts ; son pont était encombré de créatures humaines, sur lesquelles, à chaque instant, crevaient des vagues monstrueuses qui les balayaient dans la mer écumante. Cependant le vaisseau que montait Heyling s’avançait au milieu de la masse mugissante des eaux, avec une force et une vitesse irrésistibles. Frappant l’autre navire sur le flanc, il l’écrasa sous sa quille. Un cri terrible, le cri de mort de cent misérables, s’éleva ; si affreux qu’il retentit par-dessus les clameurs des éléments ; si aigu qu’il semblait percer l’air et l’Océan et les cieux. — Mais qu’est-ce que cela ? Quelle est cette vieille tête grise, qui s’élève au-dessus des vagues, qui lutte contre la mort, et dont les cris, le regard plein d’agonie, appellent du secours ? Un seul coup d’œil, et George Heyling s’est élancé dans la mer ; il nage vigoureusement vers le vieillard ; il s’en approche : oui ! ce sont bien ses traits ! Le vieillard le voit venir et s’efforce vainement de lui échapper. Heyling le saisit, l’étreint, l’entraîne avec lui sous les flots, au fond ! au fond ! sous des masses d’eau ténébreuses. Les efforts du vieillard deviennent de plus en plus faibles et bientôt cessent entièrement : il est mort ; Heyling l’a tué ; il a tenu son serment !

Seul et les pieds nus, il traversait les plaines brûlantes d’un immense désert. Le sable soulevé par le simoun l’étouffait, l’aveuglait. Ses grains imperceptibles pénétraient dans chaque pore de sa peau, et lui causaient une irritation qui allait jusqu’à la fureur. Des masses gigantesques de la même poussière, emportées par les vents et rougies par le soleil, marchaient autour de lui comme des piliers de feu vivant. Les ossements des voyageurs qui avaient péri, dans ces affreux déserts, blanchissaient à ses pieds ; une lumière sanglante tombait sur tous les objets environnants ; et aussi loin que ses regards pouvaient s’étendre, il n’apercevait que de nouveaux sujets de crainte et d’horreur. C’est en vain qu’il s’efforce de pousser un cri de détresse ; sa langue brûlante est collée à son palais. Il se précipite en avant comme un désespéré. Doué d’une force surnaturelle, il fend les sables mouvants : mais à la fin, épuisé de soif et de fatigue, il tombe sans connaissance