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— Superbes, magnifiques. Kent, monsieur ; tout le monde connaît le comté de Kent, célèbre pour ses pommes, ses cerises, son houblon et ses femmes. Un verre de vin, monsieur ?

— Avec grand plaisir, répondit M. Tupman ; et l’étranger emplit son verre, et le vida.

— J’aimerais beaucoup aller à ce bal, reprit M. Tupman, beaucoup.

— Nous avons des billets au comptoir, monsieur. Une demi-guinée chaque, monsieur, dit le garçon.  »

M. Tupman exprima de nouveau le désir d’être présent à cette fête ; mais ne rencontrant aucune réponse dans l’œil obscurci de M. Snodgrass, ni dans le regard distrait de M. Pickwick, il se rejeta, avec un nouvel intérêt, sur le vin de Porto et sur le dessert qu’on venait d’apporter. Le garçon se retira, et nos cinq voyageurs continuèrent à savourer les deux heures d’abandon qui suivent le dîner.

« Pardon, monsieur, dit l’étranger, la bouteille dort, faites-lui faire le tour comme le soleil, par la soute au pain, rubis sur l’ongle,  » et il vida son verre qu’il avait rempli deux minutes auparavant, et s’en versa un autre avec l’aplomb d’un homme accoutumé à ce manège.

Le vin fut bu, et l’on en demanda d’autre : le visiteur parla, les pickwickiens écoutèrent ; M. Tupman se sentait à chaque instant plus de disposition pour le bal ; la figure de M. Pickwick brillait d’une expression de philanthropie universelle ; MM. Winkle et Snodgrass étaient tombés dans un profond sommeil.

« Ils commencent là haut, dit l’étranger ; écoutez, on accorde les violons, maintenant la harpe ; les voilà partis.  »

En effet, les sons variés qui descendaient le long de l’escalier annonçaient le commencement du premier quadrille.

« J’aimerais beaucoup aller à ce bal, répéta M. Tupman.

— Moi aussi ; maudit bagage ; bateau en retard : rien à mettre ; drôle, hein ?  »

Une bienveillance générale était le trait caractéristique des pickwickiens, et M. Tupman en était doué plus qu’aucun autre. En feuilletant les procès-verbaux du club, on est étonné de voir combien de fois cet excellent homme envoya chez les autres membres de l’Association les infortunés qui s’adressaient à lui, pour en obtenir de vieux vêtements ou des secours pécuniaires.