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devinrent de plus en plus furieux ; enfin, Horatio Fizkin demanda, d’un ton péremptoire, à son adversaire l’honorable Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall, si ces musiciens jouaient par son ordre. L’honorable Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall, refusant de répondre à cette question, Horatio Fizkin, Esquire, de Fizkin-Loge, montra le poing à l’honorable Samuel Slumkey-Hall : sur quoi, le sang de l’honorable Samuel Slumkey s’étant échauffé, il provoqua, en combat mortel, Horatio Fizkin, Esquire. Quand le maire entendit cette violation de toutes les règles connues et de tous les précédents, il ordonna une nouvelle fantaisie sur la sonnette, et déclara que son devoir l’obligeait à faire comparaître devant lui, Horatio Fizkin, Esquire, de Fizkin-Loge, et l’honorable Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall, pour leur faire prêter serment de ne point troubler la paix de Sa Majesté. À cette menace terrible, les amis des deux candidats s’interposèrent, et lorsque les deux partis se furent querellés, deux à deux, pendant trois quarts d’heure, Horatio Fizkin, Esquire, mit la main à son chapeau, en regardant l’honorable Samuel Slumkey ; l’honorable Samuel Slumkey mit la main à son chapeau en regardant Horatio Fizkin, Esquire, les musiciens furent interrompus ; la multitude s’apaisa en partie, et Horatio Fizkin, Esquire, put continuer sa harangue.

Les discours des deux candidats, quoique différents sous tous les autres rapports, s’accordaient pour offrir un tribut touchant au mérite et à la noblesse d’âme des électeurs d’Eatanswill. Chacun exprima son intime conviction, qu’il n’avait jamais existé, sur la terre, une réunion d’hommes plus indépendants, plus éclairés, plus patriotes, plus vertueux, plus désintéressés que ceux qui avaient promis de voter pour lui : chacun fit entendre obscurément qu’il soupçonnait les électeurs de l’autre parti d’être influencés par de honteux motifs, d’être adonnés à d’ignobles habitudes d’ivrognerie, qui les rendaient tout à fait indignes d’exercer les importantes fonctions confiées à leur honneur pour le bonheur de la patrie. Fizkin exprima son empressement à faire tout ce qui lui serait proposé[1] ; Slumkey, sa détermination de ne jamais rien accorder de ce qui lui serait demandé. L’un et l’autre mirent en fait, que l’agriculture, les manufactures, le commerce, la prospérité d’Eatanswill, seraient toujours plus chers à leur cœur que tous les autres

  1. Le ministère était apparemment libéral. (Note du traducteur.)