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par une cravate blanche très-roide, parut alors en scène, au milieu des interruptions fréquentes de la foule, qui l’engageait à envoyer quelqu’un chez lui pour voir s’il n’avait pas oublié sa voix sous son traversin. Il demanda la permission de présenter une personne propre et convenable, pour représenter au parlement les électeurs d’Eatanswill, et quand il déclara que c’était Horatio Fizkin, Esquire, de Fizkin-Loge, près Eatanswill, les fizkiniens applaudirent et les slumkéïens grognèrent, si longtemps et si bruyamment, que le parrain du candidat, au lieu de parler, aurait pu chanter des chansons bachiques sans que personne s’en fût douté.

Les amis d’Horatio Fizkin, Esquire, ayant joui de leur primauté, un petit homme, au visage colérique et rouge comme un œillet, s’avança afin de nommer une autre personne propre et convenable, pour représenter au parlement les électeurs d’Eatanswill ; mais la nature de cet individu était trop irritable pour lui permettre de cheminer tranquillement parmi les forces de la multitude. Après quelques sentences d’éloquence figurative, le gentleman colérique se mit à tonner contre les interrupteurs ; puis il échangea des provocations avec les gentlemen placés sur les hustings. Alors il se leva de toutes parts un tapage qui l’obligea d’exprimer ses sentiments par une pantomime sérieuse, au bout de laquelle il céda la place à l’orateur chargé de seconder sa motion. Celui-ci, pendant une bonne demi-heure, psalmodia un discours écrit, qu’aucun tumulte ne put lui faire interrompre ; car il l’avait envoyé d’avance à la Gazette d’Eatanswill, qui devait l’imprimer mot pour mot.

Enfin, Fizkin, Esquire de Fizkin-Loge, près d’Eatanswill, se présenta pour parler aux électeurs, mais aussitôt les bandes de musiciens employées par l’honorable Samuel Slumkey, commencèrent à exécuter une fanfare avec une vigueur toute nouvelle. En échange de cette attention, la multitude jaune se mit à caresser la tête et les épaules de la multitude bleue ; la multitude bleue voulut se débarrasser de l’incommode voisinage de la multitude jaune, et il s’ensuivit une scène de bousculades, de luttes, de combats, que nous désespérons de pouvoir représenter. Le maire s’efforça vainement d’y mettre fin ; vainement il ordonna d’un ton impératif à douze constables de saisir les principaux meneurs, qui pouvaient être au nombre de deux cent cinquante ; le tumulte continua. Durant l’émeute, Horatio Fizkin, Esquire de Fizkin-Loge et ses amis