Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE VIII.

Faisant voir clairement que la route du véritable amour n’est
pas aussi unie qu’un chemin de fer.

La tranquille solitude de Dingley-Dell, la présence de tant de personnes du beau sexe, la sollicitude et l’anxiété qu’elles témoignaient à M. Tupman, étaient autant de circonstances favorables à la germination et à la croissance des doux sentiments que la nature avait semés dans son sein, et qui paraissaient maintenant se concentrer sur un aimable objet. Les jeunes demoiselles étaient jolies, leurs manières engageantes, leur caractère aussi aimable que possible, mais à leur âge elles ne pouvaient prétendre à la dignité de la démarche, au noli me tangere (ne me touchez pas) du maintien, à la majesté du regard, qui, aux yeux de M. Tupman, distinguaient la tante demoiselle de toutes les femmes qu’il avait jamais lorgnées. Il était évident que leurs âmes étaient parentes, qu’il y avait un je ne sais quoi sympathique dans leur nature, une mystérieuse ressemblance dans leurs sentiments. Son nom fut le premier qui s’échappa des lèvres de M. Tupman, lorsqu’il était étendu blessé sur la terre ; le cri déchirant de miss Wardle fut le premier qui frappa l’oreille de M. Tupman, lorsqu’il fut rapporté à la maison. Mais cette agitation avait-elle été causée par une sensibilité aimable et féminine, qui se serait également manifestée pour tout autre ; ou bien avait-elle été enfantée par un sentiment plus passionné, plus ardent, que lui seul, parmi tous les mortels, pouvait éveiller dans son cœur ? Tels étaient les doutes qui tourmentaient l’esprit de M. Tupman, tandis qu’il gisait étendu sur le sofa ; tels étaient les doutes qu’il se décida à résoudre sur-le-champ et pour toujours.

Le soleil venait de terminer sa carrière : MM. Pickwick, Winkle et Snodgrass étaient allés avec leur joyeux hôte assister à la fête voisine de Muggleton ; Isabella et Emily se promenaient avec M. Trundle ; la vieille dame sourde s’était endormie dans sa bergère ; le ronflement du gros joufflu arrivait, lent et monotone, de la cuisine lointaine. Les servantes ré-