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— Dites la vérité, ingrate que vous êtes ! s’écria miss Havisham en frappant avec colère le plancher de sa canne ; vous êtes fatiguée de moi ! »

Estelle, avec un grand calme, leva les yeux sur elle, puis elle les rabaissa sur le feu ; son corps gracieux et son charmant visage exprimaient une froide impassibilité devant la colère de l’autre, qui était presque cruelle.

« Cœur de pierre ! s’écria miss Havisham, cœur froid !… froid !…

— Quoi !… dit Estelle en conservant son attitude d’indifférence pendant qu’elle s’appuyait contre la cheminée, et en ne remuant que les yeux, vous me reprochez d’être froide ?… vous !…

— Ne l’êtes-vous pas ? repartit fièrement miss Havisham.

— Vous devriez savoir, dit Estelle, que je suis ce que vous m’avez faite ; prenez-en toutes les louanges et tout le blâme ; prenez-en tout le succès et tout l’insuccès : en un mot, prenez-moi.

— Oh ! regardez-là ! regardez-là !… s’écria miss Havisham avec amertume ; regardez-là ! si dure, si ingrate, dans la maison même où elle a été élevée… où je l’ai pressée sur cette poitrine brisée, alors qu’elle saignait encore, et où je lui ai prodigué des années de tendresse !

— Du moins je n’ai pas pris part au contrat, dit Estelle, car si je savais marcher et parler quand on le fit, c’était tout ce que je pouvais faire. Mais que voulez-vous dire ? Vous avez été très-bonne pour moi, et je vous dois tout… Que voudriez-vous ?

— Votre affection, répliqua l’autre.

— Vous l’avez.

— Je ne l’ai pas, dit miss Havisham.

— Ma mère adoptive, répliqua Estelle sans perdre