Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit, je ne suis qu’un simple agent, j’exécute mes instructions et je suis payé pour cela. Je les crois imprudentes, mais je ne suis pas payé pour donner mon opinion sur leur mérite. »

Je commençais à exprimer ma reconnaissance pour mon bienfaiteur inconnu, et pour la générosité grande avec laquelle il me traitait, quand M. Jaggers m’arrêta.

« Je ne suis pas payé, dit-il froidement, pour rapporter vos paroles à qui que ce soit. »

Puis il rassembla les pans de son habit, comme il avait rassemblé les éléments de la conversation, et se mit à regarder ses bottes, les sourcils froncés, comme s’il les eût soupçonnées de mauvaises intentions contre lui.

Après un silence, je lui dis :

« Il y avait tout à l’heure, monsieur Jaggers, une question que vous avez désiré me voir écarter un instant ; j’espère ne rien faire de mal en la faisant de nouveau.

— Qu’est-ce que c’est ? » dit-il.

J’aurais pu prévoir qu’il ne m’aiderait jamais, mais j’étais aussi embarrassé pour refaire cette question que si elle eût été tout à fait neuve ; je dis en hésitant :

« Mais, mon patron… cette source principale dont vous m’avez parlé, M. Jaggers… doit-il bientôt… ? »

Ici j’eus la délicatesse de m’arrêter.

« Doit-il bientôt ? quoi ? dit M. Jaggers, ça n’est pas une question, çà, vous le savez.

— … Venir à Londres ? dis-je, après avoir cherché une forme précise de mots ; ou m’appellera-t-il autre part ?

— Pour ceci, répliqua Jaggers, en fixant pour la première fois ses yeux profondément enfoncés, il faut