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sujet. Cependant, après un autre tour silencieux dans le jardin, je repris :

« Biddy, j’ai dit tout à l’heure que je reviendrais souvent voir Joe. Tu n’as rien répondu… Dis-moi pourquoi, Biddy ?

— Êtes-vous donc bien sûr que vous viendrez le voir souvent ? demanda Biddy, s’arrêtant dans l’étroite allée du jardin et me regardant à la clarté des étoiles d’un œil clair et pur.

— Oh ! mon Dieu, dis-je, comme désespérant de faire entendre raison à Biddy, voilà qui est vraiment un très-mauvais côté de la nature humaine. N’en dis pas davantage, s’il te plaît, Biddy, cela me fait trop de peine. »

Par cette raison dominante, je tins Biddy à distance pendant le souper, et, quand je montai à mon ancienne petite chambre, je pris congé d’elle aussi froidement que le permettait le souvenir du cimetière et de l’enterrement. Toutes les fois que je me réveillais dans la nuit, et cela m’arriva tous les quarts d’heure, je pensais à la méchanceté, à l’injure, à l’injustice que Biddy m’avait faites.

Je devais partir de grand matin. De grand matin, je fus debout, et regardant, sans être vu, par la fenêtre de la forge, je restai là pendant plusieurs minutes, contemplant Joe, déjà au travail, et rayonnant de santé et de force.

« Adieu, cher Joe. Non, ne l’essuyez pas, pour l’amour de Dieu ! Donnez-moi votre main noircie ; je reviendrai bientôt et souvent.

— Jamais trop tôt, monsieur, et jamais trop souvent, Pip. » dit Joe.

Biddy m’attendait à la porte de la cuisine avec une tasse de lait encore chaud et du pain grillé.