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Je me penchai, et son visage resta calme, comme celui d’une statue.

« Maintenant, dit Estelle en s’échappant à l’instant même où je touchai sa joue, vous devez vous occuper de me faire donner du thé et de me conduire à Richmond. »

Son retour à ce ton, comme si notre réunion nous était imposée et que nous fussions de simples marionnettes, me fit de la peine ; mais tout me fit de la peine dans cette rencontre. Quelque pût être son ton avec moi, c’eût été folie de prendre confiance et d’y mettre toutes mes espérances, et pourtant je continuai à me leurrer contre toute raison et tout espoir. Pourquoi le répéter mille fois ? C’est ainsi qu’il en fut toujours.

Je sonnai pour le thé et le garçon revint avec son fil magique ; il apporta peu à peu une cinquantaine d’accessoires à ce breuvage, mais de thé, pas une goutte : un plateau, des tasses et des soucoupes, des assiettes, des couteaux et des fourchettes, y compris le couteau à découper, des cuillers de différentes dimensions, des salières, un modeste petit muffin enfermé avec une extrême précaution sous une forte cloche en fer : Moïse dans les roseaux, représenté par un appétissant morceau de beurre dans une quantité de persil, un pain pâle avec une tête poudrée, puis des tartines triangulaires recouvertes par deux épreuves d’impression et reposant sur les barres du foyer de la cuisine, et enfin une grosse fontaine de famille, avec laquelle le garçon entra en chancelant, son visage exprimant la fatigue et la souffrance. Après une absence assez prolongée à ce moment du repas, il revint enfin avec une cassette de belle apparence, contenant des petites brindilles et des petites feuilles. Je les plongeai dans l’eau chaude, et de