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Elle les dit avec une nuance de hauteur, mais cependant sans déplaisir.

« Il va falloir envoyer chercher une voiture, Estelle. Voulez-vous vous reposer un peu ici ?

— Oui, je dois me reposer un peu ici. Je dois prendre un peu de thé et vous devez veiller sur moi pendant tout ce temps. »

Elle passa son bras sous le mien, comme si on lui eût dit qu’elle devait le faire, et je priai un garçon qui regardait la voiture de l’air d’un homme qui n’avait jamais vu pareille chose de sa vie, de nous conduire à une chambre particulière. Là-dessus, il tira une serviette, comme si c’était un talisman magique sans lequel il ne trouverait jamais son chemin dans l’escalier, et nous conduisit dans le trou le plus noir de l’établissement, meublé d’un diminutif de miroir, article tout à fait superflu, vu l’exiguïté du lieu, d’un ravier à anchois, d’un huilier à sauces et des socques de quelqu’un. Sur les objections que je fis, il nous mena dans une autre pièce, où se trouvait une table pour trente couverts, et dans la cheminée de cette même chambre, on voyait une feuille de papier arrachée à un cahier de copie sous un boisseau de charbon de terre. Le garçon prit mes ordres qui ne consistaient qu’à demander un peu de thé pour ma compagnie, et nous quitta.

J’ai cru et je crois que l’air de cette chambre, avec sa forte combinaison d’odeur d’étable et d’odeur de soupe, aurait pu induire à penser que le département des transports n’allait pas très-bien et que le propriétaire de l’entreprise faisait bouillir les chevaux pour le département des vivres ; cependant cette chambre était tout pour moi, puisque Estelle y était ; je pensais qu’avec elle j’aurais pu y être heureux pour la vie. Remar-