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avec laquelle il venait d’exhiber ces mêmes cinq gros doigts.

« Ah ! continua-t-il, en me passant le pain et le beurre, allez-vous chez Joseph ?

— Au nom du ciel ! dis-je en éclatant malgré moi, que vous importe où je vais ? laissez la théière tranquille. »

C’était la plus mauvaise voie que je pouvais prendre, parce que cela donna à Pumblechook l’occasion qu’il cherchait.

« Oui, jeune homme, dit-il en lâchant le manche de l’objet en question, et en se reculant d’un ou deux pas de ma table, parlant de manière à être entendu de l’aubergiste et du garçon qui étaient à la porte ; je laisserai cette théière tranquille, vous avez raison, jeune homme ; une fois par hasard, vous avez raison. Je m’oublie moi-même quand je prends intérêt à votre déjeuner, au point de vouloir rendre des forces à votre corps épuisé par les effets débilitants de la prodigalité, et le stimuler par la nourriture saine de vos ancêtres… Et pourtant, dit Pumblechook en se tournant vers l’aubergiste et le garçon, et en m’indiquant en allongeant le bras, voilà celui que j’ai constamment fait jouer dans les heureux jours de son enfance. Ne me dites pas que cela ne se peut pas ; je vous assure que c’est lui ! »

Un murmure étouffé des deux individus interpellés servit de réponse. Le garçon semblait même particulièrement affecté.

« C’est lui, dit Pumblechook, que j’ai promené dans ma voiture ; c’est lui que j’ai vu élever à la main ; c’est lui de la sœur duquel j’étais l’oncle par alliance. Qu’il le nie, s’il le peut ! »

Le garçon semblait convaincu que je ne pouvais pas le nier, et que cela donnait un mauvais air à l’affaire.